Monoparentalité et bouleversement de la filiation

PMA sans père

Bruno Décoret (© D.R.)

Bruno Décoret (© D.R.)

Le député et médecin Jean-Louis Touraine a raison de considérer, dans le rapport qu’il a remis au gouvernement, que l’ouverture de la « procréation médicalement assistée pour toutes » doit s’accompagner d’une modification dans la définition de la filiation, en particulier la filiation paternelle. En effet, le projet défendu par lui – et beaucoup d’autres – consiste à créer en droit une filiation a-paternelle, autrement dit soit une monoparentalité réelle, soit une biparentalité féminine.

La procréation d’un nouvel humain sera donc subordonnée à la seule volonté d’une femme, appuyée éventuellement par sa compagne ou épouse, mais en l’absence de participation volontaire d’un homme.

Rappelons – il est curieux de devoir le faire – que nous sommes des êtres à reproduction sexuée. Pour qu’un nouvel humain naisse, il faut la rencontre d’une cellule mâle, le spermatozoïde, avec une cellule femelle, l’ovule, dans l’utérus de la femme qui a fourni l’ovule en question. Par quel miracle peut-on se passer de la contribution masculine ? Une supercherie langagière consiste à employer systématiquement l’expression de procréation médicalement assistée, apportant ainsi la caution noble de la médecine et de la science. La science aurait-elle remplacé l’homme ? Pas du tout ! Le « geste médical » consiste simplement à injecter dans la cavité sexuelle de la femme la semence produite par les cellules masculines au moyen d’un cathéter, au lieu de le faire comme le font d’habitude un homme et une femme, en général avec un certain plaisir.

La technique médicale n’élimine pas l’homme, elle élimine le rapport sexuel. Il s’agit en fait d’une insémination avec donneur (IAD), un aspect très mineur de la procréation médicalement assistée, laquelle – selon l’Institut national de la santé et de la recherche médicale – « consiste à manipuler un ovule et/ou un spermatozoïde pour favoriser l’obtention d’une grossesse. Elle permet de palier [sic] certaines difficultés à concevoir, sans nécessairement traiter la cause de l’infertilité ».

Mais il y a bien un homme au départ, qui fournira au futur bébé la moitié de son code génétique. Une femme ne peut avoir un enfant sans homme, qu’elle soit célibataire ou en couple avec une autre femme, quels que soient la bonne volonté et l’amour que celle-ci porte à sa conjointe. Cet homme, dont la médecine et la loi future auront flouté la personne afin que la mère de l’enfant ne le connaisse pas, quel sera son statut vis-à-vis de l’enfant futur ?

Le professeur Touraine souhaite que ce dernier puisse à sa majorité connaître celui qui l’a conçu. Dans quel but ? On parle du droit à connaître ses origines. Mais de quelle origine s’agit-il, puisque dans le rapport on parle de « projet monoparental », ou « projet homoparental », autrement dit d’un enfant né sans l’acte sexuel volontaire d’un homme ? Pourquoi penser que l’enfant ainsi né voudra, devenu adulte, connaître l’homme qui a donné – ou vendu, car on ne trouvera pas assez de bénévoles – son tissu génital ? Pourquoi aurait-il besoin de savoir qui est son « père » puisque, dès le départ, on a postulé qu’il n’avait pas besoin d’en avoir un ? On ne peut pas d’un côté considérer que le projet mono ou homoparental ne pose aucun problème, et de l’autre penser que l’enfant à naître aura besoin un jour de connaître l’identité de cet anonyme qui n’a fait que donner un bout de lui-même.

Quel statut pour le rapport donneur-enfant ?

Si le jeune adulte prend contact avec cet homme qui a fourni son sperme (pour simplifier, on le nommera « donneur »), quelle sera la nature de leur lien ? L’homme pourra-t-il reconnaître le jeune adulte comme son enfant ? Si oui, devra-t-il recueillir l’assentiment de la mère, de la conjointe de celle-ci ? L’enfant pourra-t-il engager vis-à-vis de son géniteur une action en recherche de paternité, ou une action à fins de subsides, procédure permettant de demander de l’argent sans reconnaissance de paternité ? On répondra logiquement « non » à toutes ces interrogations puisque le « donneur » n’avait aucune intention d’être père et la receveuse – ainsi que sa compagne éventuelle – n’avaient pas l’intention de mettre au monde un enfant qui ait un père. Le « donneur » et le produit du don n’auront aucun lien de parenté, ce qui éliminera tout devoir d’assistance réciproque et permettra entre autres à « l’enfant » de se marier avec les enfants légitimes du « donneur » – et d’avoir avec eux une descendance. Exit le risque de consanguinité puisque c’est l’intention qui fait le parent, en l’occurrence la ou les mères.

Mais alors, que dire des – nombreuses – relations sexuelles qui aboutissent à une naissance alors que l’homme n’avait absolument pas l’intention d’avoir un enfant ? Pourra-t-on encore intenter une action en recherche de paternité ou à fins de subsides auprès d’un homme ayant eu un rapport sexuel avec une femme volontaire pour ce rapport, mais sans l’intention d’avoir un enfant ? Autrement dit, pourra-t-on forcer un homme à devenir père alors qu’il n’en avait nullement l’intention ? Sauf dans le cas d’un couple marié, où il y a eu au moment du mariage une acceptation réciproque à avoir une descendance commune, ce serait totalement illogique.

Monoparentalité subie ou choisie ?

On parle beaucoup des familles « monoparentales », en incluant dans cette définition les mères qui résident avec leurs enfants mais non avec le père de ceux-ci. Le président de la République, précisant qu’il les découvre maintenant, se penche sur leur sort afin de leur venir en aide, principalement pour le recouvrement des pensions alimentaires dues à des mères par le père de leurs enfants – ce qui est contradictoire avec le terme « monoparental ».

Lorsque ce père est insolvable ou défaillant, l’État assiste la famille en question par une allocation de parent isolé. La « monoparentalité » est donc décrite comme une situation subie, peu enviable, associée à l’abandon de la part d’un homme qui refuse d’assumer ses responsabilités, ou est incapable de le faire. Elle est souvent – mais pas toujours – vécue comme telle. Qu’en sera-t-il lorsque cette « monoparentalité » résultera de l’exercice d’un droit à voir aboutir un projet monoparental ? Traitera-t-on de la même manière une « monoparentalité » subie et une « monoparentalité » choisie ? L’intention de monoparentalité, avec exclusion volontaire d’un père, donnera-t-elle le droit à l’assistance par l’État ?

Changer notre mode de filiation ?

Toutes ces questions conduisent à une plus générale : allons-nous modifier notre système de filiation, en particulier paternelle, notre « ordre généalogique », pour reprendre l’expression de Pierre Legendre ? C’est possible : il a existé et existe encore des sociétés fonctionnant sur d’autres systèmes de filiation. Mais ce serait bouleverser un des piliers de la société. Cela ne peut se faire à la légère et sous l’unique argument de satisfaire au désir – au demeurant légitime – de certaines femmes d’avoir un enfant en se passant de la relation avec un homme.

Mise à jour du 14 juin 2019

Cet article a également été publié sur le site du magazine Causeur sous le titre « Procréation médicalement assistée pour toutes : la science remplace l’homme ».

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