Donation avec réserve d’usufruit du logement familial propre

Cour de cassation

Lors de son audience publique de ce 22 mai 2019, la Cour de cassation a rappelé que la donation avec réserve d’usufruit du logement familial faite par le propriétaire sans le consentement de son conjoint est possible dès lors qu’elle n’a porté atteinte ni à la jouissance ni à l’usage dudit logement par le conjoint pendant le mariage.

En l’espèce, un époux commun en biens avait – sans le consentement de son épouse – fait donation en mars 2012 à ses deux enfants, issus d’un précédent mariage, de biens immobiliers propres, dont l’un constituait le logement de la famille, en stipulant une réserve d’usufruit à son seul profit. Il décéda quelque temps plus tard, au cours de l’instance en divorce engagée par son épouse. Icelle assigna alors les deux enfants de son défunt mari en annulation de la donation, sur le fondement de l’article 215, alinéa 3, du code civil : son consentement n’avait pas été requis, alors que « les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ».

La cour d’appel de Papeete lui donna raison en 2018 et annula la donation litigieuse. Les deux enfants formèrent alors un pourvoi en cassation.

L’arrêt a été cassé aujourd’hui par la première chambre civile de la Cour de cassation au visa de l’article 215, alinéa 3, du code civil :

« Attendu que, selon ce texte, les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ; que cette règle, qui procède de l’obligation de communauté de vie des époux, ne protège le logement familial que pendant le mariage ;

« Attendu que, pour accueillir la demande de [la veuve], après avoir relevé que le décès de [son époux] a mis fin à l’usufruit, l’arrêt retient que l’acte de donation du 8 mars 2012 constitue un acte de disposition des droits par lesquels est assuré le logement de la famille au sens de l’article 215, alinéa 3, et en déduit que l’absence de mention du consentement de l’épouse dans l’acte authentique justifie son annulation ;

« Qu’en statuant ainsi, alors que la donation litigieuse n’avait pas porté atteinte à l’usage et à la jouissance du logement familial par [la veuve] pendant le mariage, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici à nos lecteurs que les dispositions de l’article 215, alinéa 3, du code civil s’appliquent quel que soit le statut du logement de la famille au regard du régime matrimonial du couple – en l’espèce le bien était propre au mari. L’acte par lequel l’un des époux disposerait du logement de la famille sans le consentement de son conjoint peut être annulé – « l’action en nullité […] est ouverte [à l’époux victime] dans l’année à partir du jour où il a eu connaissance de l’acte, sans pouvoir jamais être intentée plus d’un an après que le régime matrimonial s’est dissous ».

La jurisprudence a étendu cette protection du logement conjugal à tous les actes qui risqueraient de priver la famille de la jouissance du logement, par exemple sa mise en location (arrêt du 16 mai 2000, pourvoi nº 98-13441) ou la résiliation du contrat d’assurance le garantissant (arrêt du 10 mars 2004, pourvoi nº 02-20275 ; arrêt du 14 novembre 2006, pourvoi nº 05-19402). Il a cependant été reconnu que l’article 215, alinéa 3, du code civil ne porte pas atteinte à la liberté testamentaire : le legs du logement conjugal à un tiers est ainsi possible sans l’accord du conjoint (arrêt du 22 octobre 1974, pourvoi nº 73-12402).

Peut-être la cour d’appel de Papeete avait-elle cru pouvoir s’appuyer sur cette conception extensive des actes de disposition (voir par exemple un arrêt du 16 juin 1992, pourvoi nº 89-17305, à propos de la vente du domicile conjugal avec réserve d’usufruit au profit du seul époux vendeur). Mais l’arrêt ici commenté rappelle que l’article 215, alinéa 3, du code civil est un effet du mariage, et qu’il cesse donc de s’appliquer au moment de la dissolution du mariage – en l’espèce la mort de l’un des époux (article 227 du code civil).

Références
Cour de cassation
Chambre civile 1
Audience publique du 22 mai 2019
Nº de pourvoi : 18-16666

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