Aliénation parentale et fausses allégations de maltraitance : changement de résidence

Courts and Tribunal Judiciary

Les allégations de maltraitance formulées par les enfants sont souvent au cœur de litiges entre parents animés l’un envers l’autre d’une irrémédiable hostilité et constituent un terreau fertile pour l’aliénation parentale. Qu’elles soient fausses ou véridiques, l’enfant en subira presque certainement des conséquences dommageables. Une décision très intéressante en la matière a été rendue aujourd’hui par le juge Andrew McFarlane, président de la Family Division de la High Court of Justice. Elle fait bien ressortir la manière dont l’hostilité d’un parent à l’égard de l’autre devrait être traitée par les professionnels et les tribunaux, afin de restreindre autant que possible l’usage de cette arme fatale que sont les fausses allégations de maltraitance. Elle aborde également les obligations de certains professionnels de l’enfance dans de telles situations, où ils doivent faire connaître au tribunal les sentiments et les souhaits de l’enfant, au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Nonobstant les nombreuses différences entre les systèmes judiciaires anglo-saxons et français, il nous a paru opportun de rapporter ici de nombreux détails d’une affaire dans laquelle – malheureusement – certains de nos lecteurs se reconnaîtront aisément.

Première instance

En l’espèce, des parents s’étaient séparés alors que leur petit garçon avait deux ans. Icelui avait alors résidé chez sa mère et sa grand-mère maternelle. Une longue bataille judiciaire fut déclenchée par la mère en 2013 afin de faire entériner la situation. Durant trois années, l’affaire fut entendue par dix juges et douze décisions furent rendues, jusqu’à ce qu’une ordonnance définitive confirmât en mai 2016 que l’enfant résiderait avec sa mère à Londres et qu’il verrait son père tous les trois weekends en Angleterre ainsi qu’une partie des vacances scolaires en Irlande du Nord (où vivait le père). L’enfant fut entendu en octobre 2017 par la police locale et se plaignit d’un manque d’intimité sexuelle chez son père. La mère en profita pour ressaisir le tribunal et le père contre-attaqua en demandant un changement de résidence.

Le juge Robin Stewart Tolson entendit les deux parents et la grand-mère maternelle en mai 2018. Dans son jugement rendu le 18 mai, il rejeta les allégations sur lesquelles la mère s’était fondée et conclut « to a very high standard of proof that there has been no sexual or physical abuse by [the child]’s father of his son ». Il estima également vraisemblables les griefs du père, qui accusait la mère et la grand-mère de miner sa relation avec son fils. L’opinion clairement défavorable à la grand-mère maternelle que le juge Tolson avait conçu lors de l’audience se retrouve dans son jugement :

« [The father] had openly taken a video of [the maternal grandmother] on an occasion when the father was due to collect [the child] from the grandmother outside the school gates. It is true that the grandmother can be seen behaving entirely inappropriately and in a hostile manner towards the father during the course of this video. When the grandmother gave evidence before me she accepted that on this occasion she had behaved inappropriately. She also told me that she was someone who was hot-tempered. She also expressed the view that in her opinion she was dealing with an irresponsible father. »

Le juge préféra cependant rester prudent :

« That is sufficient to dispose of the immediate fact-finding allegation. The question is, where is [father’s] wider submission left? My findings clearly dispose of the mother’s application to suspend contact in the case but they do not dispose, and I cannot dispose, of the father’s application that [the child] should, in future, live with him and not the mother. As advanced during his evidence, he presented it in some ways as a last resort. He feared that we had reached the position where in future the mother would be unable either to permit him a normal relationship with [his son] or to promote his relationship with [the child] in any way.

« On the evidence I have heard, I am left with grave concerns in that respect but it would be wrong to reach any final conclusion on this evidence. »

Le juge ajourna donc la requête du père et ordonna que l’enfant soit partie à la procédure avec un tuteur pour enfants nommé par le Children and Family Court Advisory and Support Service (une institution semblable à l’Aide sociale à l’enfance française). Il formula aussi une observation – voire un avertissement – à l’intention de la mère et de la grand-mère maternelle :

« Perhaps also inevitably, after a judgment of this kind, the question is, how will the mother and, in this case, the maternal grandmother, react to it? Is it possible from this point to move into what I shall describe as “a more broad and sunlit upland” in which [the child]’s time with his father in England and, more especially, in Northern Ireland passes peacefully and in [the child]’s best interests without any further allegations of this kind being made; or will the immediate future of this case see more of the same – more of the dreadful past history of litigation which we have had now for far too many years? »

Le juge Tolson entendit à nouveau les deux parents, la grand-mère et le tuteur de l’enfant au cours de deux journées d’audience en octobre 2018. Dans son jugement rendu le 3 décembre, il releva que les rapports rédigés par divers agents du Children and Family Court Advisory and Support Service au fil de la procédure étaient très similaires. Le premier rapport indiquait que le principal problème dans cette affaire était la relation quelque peu perturbée entre les parents et qu’il importait que chacun d’eux préservât l’enfant de leurs problèmes d’adultes. Trois ans plus tard, le même agent évoquait les effets d’un « persistent entrenched parental conflict played out by way of the courts » et craignait que l’enfant « could be developing a view that his mother is all good and his father is all bad ».

En juillet 2017, un autre agent du Children and Family Court Advisory and Support Service avait écrit au tribunal :

« Significant concerns that [the child] is caught up in a very acrimonious dispute between his parents and that inevitably he must be picking up on this. He must be absolutely torn apart that his loyalties are pulled one way and then the other by the very people who should be ensuring that he has a secure, loving and stable environment. I have no doubt that the emotional pressure on [the child] can be nothing short of enormous and only by his parents achieving a full, lasting resolution can this little boy hope to enjoy a normal, happy childhood. »

Au deuxième semestre de 2017, un juge s’était dit préoccupé par « the extent to which external agencies (police, social services and school) appear to be unnecessarily involved by the mother ». L’audition sus-mentionnée de l’enfant par la police locale eut d’ailleurs lieu peu de temps après.

Au début de 2018, un autre agent du Children and Family Court Advisory and Support Service signalait que la situation avait considérablement empiré pour l’enfant :

« [The child] described his mother entirely positively and his father entirely negatively. [The child]’s responses to his father during supervised contact appear to show little concern for his feelings and he required no prompting to say that he wanted no contact with his father. »

Dans son rapport daté du 10 octobre 2018 et rendu dix jours avant l’audience, le tuteur recommanda cependant le maintien de la résidence de l’enfant chez sa mère, au motif qu’un changement aurait sur lui un impact émotionnel trop important et lui serait préjudiciable. Il était pris en charge par sa mère depuis sa naissance et avait un fort attachement à sa grand-mère maternelle. Une pression trop forte serait exercée sur le garçon, alors âgé de huit ans, s’il devait s’adapter à une nouvelle vie dans une nouvelle école, une nouvelle maison et une nouvelle ville. Priorité devait être donnée au besoin de stabilité. Le tuteur se disait par ailleurs préoccupé par le fait que les deux parents ne semblaient pas capables de se concentrer sur l’intérêt de l’enfant et sur la nécessité d’exercer une coparentalité positive. Le tuteur allait jusqu’à dire dans sa conclusion que les dommages émotionnels causés à l’enfant par le conflit parental constituaient désormais un « emotional abuse ». Le dernier paragraphe du rapport était toutefois ainsi formulé :

« I have confirmed in this report that [the child] is safe in the care of [his father]. [The mother and the grandmother] must accept this. They must also accept that they have created a situation where [the child] returns to their care and shares aspects of his spending time that are not necessarily true and they facilitate a manipulation of or put words into [the child]’s mouth. However, if [the mother] cannot accept this at the next hearing then I would be inclined to consider more greatly that a change of residence is necessary. »

En fait, à l’issue de l’audience où il entendit les parents et la grand-mère, le tuteur annonça qu’il modifiait sa recommandation et se déclarait désormais favorable au déménagement de l’enfant en Irlande du Nord pour y vivre avec son père…

Le juge Tolson reprit ainsi le constat du tuteur selon lequel l’enfant était incapable de parler positivement de son père lorsqu’il était au domicile maternel :

« Ms Beer’s report draws a striking contrast between [the child]’s comments about his father when in the presence of his mother – these are entirely negative – and the reality of [the child]’s relationship with his father. The contrast is between a child who is prepared openly and apparently without prompting to blame his father for abusing him; and this description:

« “I observed [the child] and his father to have a highly positive, close and fun relationship with one another. It was entirely obvious once [the child] was able to relax and have fun that he feels comfortable in the presence of his father and he presented as a very happy, excited and joyous child. I found there to be no concerns with the quality of their relationship or with the care and attention the father provided [the child].” »

La grand-mère avait déclaré lors de l’audience qu’elle et sa fille avaient tiré les leçons des propos du tuteur ainsi que du précédent jugement, et qu’elles avaient compris qu’elles devaient modifier leur comportement. Le juge Tolson ne fut manifestement par convaincu par cette déclaration :

« I am firstly concerned about the actions of the grandmother. She described herself as a hot-tempered woman when giving evidence before me on the last occasion. The video of her actions on one handover confirm her description. She believed the father to be irresponsible. She will have left [the child] in no doubt about these views. I find she will have described him as a “bad man” on many occasions in the past, as the father contends. The grandmother presents very differently from mother. When giving evidence, the impression is that the mother is a relatively passive individual. The grandmother is not. There may well be a dynamic in play in the family home where to this point the grandmother has set the tone. [The child] spends substantial amounts of time in the grandmother’s care. I find that the grandmother’s approach heavily influences [the child]’s present words and actions when in his mother’s home. »

Le juge Tolson reconnut que la mère avait également contribué à la situation en ne laissant pas à l’enfant la possibilité d’exprimer des sentiments positifs à l’égard de son père, lui octroyant même une récompense émotionnelle lorsqu’il exprimait des sentiments négatifs. Au terme d’une description détaillée de l’important impact psychologique de ce comportement sur un enfant ainsi émotionnellement « torn apart », il conclut :

« The reality is, however, that it is the mother and grandmother who have created this situation. The father has not done so. He has, largely, not been in a position to influence [the child] against his mother and there is no evidence that he has done so. He has not behaved ideally on occasions. The feel of the case is that the father fights his ground hard and does not give it up easily. »

Le juge Tolson illustra l’état du conflit parental par un incident survenu dans un aéroport où la mère avait remis l’enfant à son père pour des vacances. Contrairement à ce qui avait été convenu, la mère n’avait pas placé le passeport de l’enfant dans ses bagages. Ayant constaté l’absence du passeport au moment de l’embarquement, le père dut faire appel à la police pour retrouver la mère dans l’aéroport et se faire remettre le passeport, que la mère avait bien avec elle. En fait, l’ordonnance de mai 2016 obligeait le père à informer la mère de ses projets s’il souhaitait emmener l’enfant à l’étranger durant les vacances, mais il n’avait pas voulu le faire, de crainte que la mère n’interférât dans ses projets en avertissant la police d’Irlande du Nord au moment où celle-ci enquêtait sur les allégations de l’enfant. La conclusion du juge sur cet épisode est la suivante :

« The whole incident demonstrates how easy it is for parents at war to damage a child. In context I can understand, but not condone, the father’s actions. He believes he has to fight his corner hard. There is a considerable body of evidence to suggest that he is correct in this. The mother takes advantage of any chink in the father’s armour or opportunity to be difficult (this is the feel for example of the “handover video” referred to in my previous judgment). I find that she knew [the child] would be travelling abroad on holiday but took the opportunity not to handover the passport when she believed it would be required. This incident happened after my findings of fact and when the mother could have been under no illusion that I was looking for a more positive response from her. The actions of the mother and grandmother have a slightly harder “edge” to them because they are both health professionals and should know better. »

Le juge Tolson constata ensuite que l’attitude de la mère et de la grand-mère n’avait pas significativement changé depuis le prononcé de son jugement précédent, et en tira cette conclusion :

« It is in that light that I must view the evidence given by the mother and the grandmother. I am afraid that I do not accept that the grandmother has performed what in the light of her evidence to me at the fact-finding hearing would be a U-turn. She remains a woman with a short temper who has a very poor view of the father. She will have called him a “bad man” (in Cantonese) in [the child]’s presence on many occasions as the father alleges. Her attitude will, in my judgment, continue to be evident to [the child]. He will continue to spend much time in the care of the grandmother. It is more difficult to guage the mother’s approach in future. She was reflective when giving evidence. On the other hand she seems a passive individual. I do not believe she really wants to change [the child]’s view of his father. Moreover, I do not think she will have the strength of character to do so. If I look to the future, I am afraid I see more of the past.

« I add that it would now I believe take a real effort to change [the child]’s approach to his father when in the care of the mother and grandmother. I do not believe they are up to this. Importantly, it is not just a question of [the child]’s attitude to his father. At present, I do not believe that [the child] is wedded to the idea that he is an abused child: I have accepted the father’s evidence that [the child] told him he had been put up to say things to the police. There is, however, a danger that [the child]’s repetition of allegations to his maternal family might become a belief system. In this case, I would not put the danger at the extreme end of the scale, but it exists. »

Le juge Tolson se déclara par ailleurs satisfait des conditions de vie de l’enfant au domicile paternel. Il avait eut l’occasion de rencontrer la nouvelle compagne du père – une professionnelle de la santé elle aussi – lors de l’audience et elle lui avait fait une excellente impression. Plus important encore, il estima que l’enfant disposerait d’un bien meilleur « emotional space » pour maintenir une relation satisfaisante avec ses deux parents en vivant avec son père. Au regard des critères énoncés dans la première section du Children Act 1989, le juge estima également que le maintien de la résidence de l’enfant chez sa mère et sa grand-mère ne répondrait pas à ses besoins et « will cause him emotional harm in the future ». Compte tenu de l’absence de changement substantiel dans le comportement des deux femmes, un déménagement en Irlande du Nord était un « harm which is worth incurring ». Le transfert de la résidence fut donc décidé.

La mère ayant rapidement interjeté appel, l’ordonnance du juge Tolson fut cependant suspendue.

Appel

Andrew McFarlane (© D.R.)

Andrew McFarlane (© D.R.)

Un mois avant sa nomination à la présidence de la Family Division de la High Court of Justice, le juge Andrew McFarlane avait participé en juin 2018 à un grand colloque organisé à Londres par nos camarades de Families Need Fathers sur le thème « What can be Done to Raise Confidence in Family Justice? ». Dans son discours d’ouverture, il avait fustigé les concepts de « contact » et « residence » utilisés dans le vocabulaire juridique anglo-saxon, les qualifiant de « pejorative labels ». Tout comme les concepts français équivalents de « droit de visite et d’hébergement » et « résidence », ils induisent une très nette différence de statut entre les parents, l’un gagnant, l’autre perdant.

Cette sensibilité aiguë au vocabulaire employé se retrouve dans la façon dont Andrew McFarlane a réfuté l’avocat de la mère, Nicholas Wilkinson. Icelui avait tenté de convaincre le juge que le transfert de résidence était prématuré en s’appuyant sur une jurisprudence célèbre [1] selon laquelle le transfert de résidence ne peut être qu’une « arme de dernier recours » :

« The transfer of residence from the obdurate primary carer to the parent frustrated in pursuit of contact is a judicial weapon of last resort. There was hardly a need for a psychologist to establish the risks of moving these girls from mother to father, not only after her long years of care but also in the light of the negative picture that they had been given of a father who they had not effectively seen for 17 months. The risks of gamesmanship from the mother in the future, confirmed in residence but nailed down with a clear detailed contact order, were plainly less, and from that essential risk balance the judge was diverted. In a sense it could be said that the order she made was premature and in its draconian content too risky for these children. »

« The remedy of transferring residence from one parent to the non-resident parent is an essential weapon or tool in these cases as a weapon or tool of last resort. It may indeed be a case of putting a gun to a parent’s head to force her or him to rethink, as counsel described it, but that, it seems to me, is a legitimate approach and remedy. However, where as here there has been an apparent volte-face by a mother and a concession that now contact should happen, combined with an acceptance by all that the mother’s care was in all other respects adequate, the remedy of last resort needs to be deployed with great care and any apparent change of heart, it seems to me, fully tested. »

Tant à l’audience que dans son jugement écrit, le juge McFarlane a tenu à prendre ses distances avec ce vocabulaire belliciste :

« 54. Whilst having the greatest respect for the two judges who gave judgments in Re: A, I would wish to distance myself from the language used insofar as it refers to a decision to change the residence of a child as being “a weapon” or “a tool”. Whilst such language may be apt in discussion between one lawyer and another in the context of consideration of the forensic options available to a judge who is seeking to move a case on, such language, in my view, risks moving the focus of the decision-making away from the welfare of the child which must be the court’s paramount consideration. »

Le juge McFarlane a très bien su ici pointer la fâcheuse tendance qu’ont les avocats à orienter le regard des magistrats sur les parents en leur faisant trop souvent perdre de vue l’intérêt de l’enfant. Il lui a paru plus sain de retenir un autre principe établi par une jurisprudence antérieure, Re: C (Residence) [2007] EWHC 2312 (Fam), également alléguée par l’avocat de la mère : il faut donner la possibilité de modifier son comportement au parent chez lequel la résidence de l’enfant a été fixée mais qui nuit à la relation d’icelui avec son autre parent. Or, en l’espèce, c’est exactement ce qu’avait fait le juge Tolson, avant de constater en première instance que rien n’avait changé :

« 56. […] Mr Wilkinson submits that the mother in this appeal is in a similar position to the mother in Re: C. The mother and, importantly, the maternal grandmother in the present case were given the chance that Sumner J gave to the mother in Re: C by HHJ Tolson in his judgment of May. On the judge’s findings, the situation in the maternal home did not, however, materially change. The judge found, in contrast to Re: C, not only that harm had happened in the past, but that it was continuing to be experienced by the child and would continue in the future. I therefore do not regard the approach adopted by HHJ Tolson as being in any way at odds with that described by Sumner J in Re: C. »

Il faut toutefois être conscient que l’évaluation de la capacité d’un parent à modifier un comportement néfaste n’est pas sans danger car elle prend du temps. Les procédures en matière familiale ont une fâcheuse tendance à dériver sans fin : les parents nuisibles et leurs avocats savent fort bien que le temps est leur plus précieux allié. Tandis que le litige se poursuit, les enfants grandissent dans un climat d’hostilité entre les parents, ou de l’un envers l’autre, et le dommage ainsi occasionné peut finir par rendre irréaliste toute perspective de transfert de résidence. L’aliénation de l’enfant au cours des six années qu’aura duré le litige dans le cas d’espèce en est une excellente illustration.

Il est donc important de pouvoir déterminer un « seuil » qui, une fois franchi, pourrait provoquer un transfert de résidence. C’est un autre aspect intéressant de cette affaire, que le juge McFarlane avait déjà évoqué dans un discours prononcé en mars 2018 lors d’un colloque organisé par la National professional Association for Guardians ad litem and Reporting Officers (Nagalro). Il affine ses préconisations au paragraphe 59 de sa décision :

« It is important to note that the welfare provisions in [Children Act] 1989, s 1 are precisely the same provisions as those applying in public law children cases where a local authority may seek the court’s authorisation to remove a child from parental care either to place them with another relative or in alternative care arrangements. Where, in private law proceedings, the choice, as here, is between care by one parent and care by another parent against whom there are no significant findings, one might anticipate that the threshold triggering a change of residence would, if anything, be lower than that justifying the permanent removal of a child from a family into foster care. »

Sans rentrer dans le détail des particularités du système juridique anglais, il faut savoir que séparer un enfant du parent avec lequel il vit habituellement y est beaucoup plus difficile dans les procédures de droit privé que dans les procédures de droit public – où interviennent des autorités publiques. Le juge McFarlane suggère ici d’abaisser considérablement le seuil qui déclencherait un transfert de résidence, de sorte que celui-ci soit plus facile à mettre en œuvre. Une telle éventualité devrait ainsi être retenue dès qu’une affaire de droit privé fait l’objet d’une mesure d’investigation relevant de la section 37 du Children Act 1989.

Un autre point du litige en appel était la vive critique du tuteur de l’enfant faite par l’avocat de la mère, pour ne pas avoir demandé à l’enfant – alors âgé de huit ans – avec quel parent il aimerait vivre. Le tribunal est en effet tenu de prendre en considération les sentiments et les souhaits de l’enfant dans le cadre de toute procédure le concernant ; pour leur part, les tuteurs sont tenus de rapporter au tribunal « the wishes of the child in respect of any matter relevant to the proceedings [2] ». Le fait de ne pas avoir demandé à l’enfant ses souhaits était donc susceptible de constituer un vice de procédure suffisamment important pour invalider la décision de première instance.

En l’espèce, le tuteur avait effectivement pris la décision de ne pas interroger l’enfant sur ce point, au motif que cela eût été inopportun à un moment où l’enfant formulait uniquement des allégations accusatrices à l’encontre de son père. Le tuteur était d’autant plus soucieux de ne pas envenimer la situation qu’il n’avait pas encore eu l’occasion d’observer la relation de l’enfant avec son père – laquelle fut ultérieurement décrite comme une « highly positive relationship ».

Le juge Tolson avait déjà déterminé en première instance que la réponse de l’enfant aurait de toute façon été évidente : il n’aurait jamais dit qu’il souhaitait vivre avec son père – ce d’autant que l’enfant ignorait très certainement la requête faite en ce sens par son père. L’aliénation de l’enfant était si forte que ni ses sentiments ni ses souhaits ne pouvaient être clairement déterminés. Le juge McFarlane a retenu sur ce point les arguments de Steven Veitch et Anarkali Musgrave, avocats du père et du tuteur respectivement, qui ont rappelé que les tribunaux doivent prendre en considération « the ascertainable wishes and feelings of the child concerned (considered in the light of his age and understanding) [3] ». Or, l’adjectif « ascertainable » ne signifie pas « exprimé » mais « déterminable », ou « vérifiable », ce qui implique que les dires de l’enfant doivent être évalués à l’aune de son comportement et du contexte dans lequel ses sentiments et ses souhaits ont été exprimés. Conséquemment, le juge McFarlane a estimé que l’intérêt supérieur de l’enfant avait préséance sur les règles de procédure et que la décision du tuteur de ne pas exercer de pression sur l’enfant avait été juste.

L’appel a donc été rejeté et l’enfant devrait normalement bientôt rejoindre son père en Irlande du Nord.

Références
High Court of Justice (Family Division)
Audience du 28 mars 2019
Décision du 8 avril 2019
Re: L [2019] EWHC 867 (Fam)
Notes
  1. Rappelons que, contrairement à la pratique des systèmes juridiques de tradition civiliste qu’on connaît en France, la jurisprudence pèse d’un très grand poids dans les systèmes juridiques anglo-saxons – dits de common law – où elle constitue la principale source du droit. De façon générale, la règle du precedent impose aux juges de suivre les décisions judiciaires antérieures.
  2. Practice Direction 12A, paragraphe 6.6 (b).
  3. Children Act 1989, s. 1(4)(a) – la mise en gras est notre fait.

Pro memoria :

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