L’école de la confiance contre la famille

Projet de loi nº 1481

Lors de la séance que la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a consacrée ce soir à l’examen du projet de loi sur l’école de la confiance défendu par le ministre Jean-Michel Blanquer, on a pu assister à un échange particulièrement intéressant lorsque le député Xavier Breton a demandé à ce que l’éducation affective et sexuelle soit exclue de l’enseignement moral et civique, au motif qu’il s’agit d’une nouvelle ingérence de l’État dans la vie des familles, après l’interdiction des fessées votée le 29 novembre dernier.

Voici l’exposé de l’amendement défendu :

« Les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants. Ce principe figure dans tous les textes de droits nationaux ou internationaux.

« Réaffirmer ce principe suppose que l’école n’empiète pas sur le droit des parents. En matière d’éducation affective et sexuelle, qui touche aux convictions les plus intimes, l’intervention de l’État n’est pas légitime. Comme l’expliquait en son temps Jules Ferry dans sa lettre aux instituteurs : “vous êtes l’auxiliaire et, à certains égards, le suppléant du père de famille […]. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire.”

« Il s’agit dans cet amendement de tirer toutes les conséquences de ce principe et d’exclure l’éducation affective et sexuelle de l’enseignement moral et civique. ».

La séance de quatre heures peut être visionnée sur le portail vidéo de l’Assemblée nationale (la discussion de l’amendement a lieu à partir de 1:29:26). Voici l’extrait du compte rendu officiel :

La commission est saisie de l’amendement AC100 de M. Xavier Breton.

Xavier Breton (© D.R.)

M. Xavier Breton. De plus en plus de réactions traduisent une réelle méfiance vis-à-vis de l’ingérence de l’État dans la vie des familles. Qu’on se rappelle les heures que nous avons passées à discuter sur une proposition de loi visant à interdire les fessées : pour nos compatriotes, que l’on soit pour ou contre la fessée, de quoi l’État se mêle-t-il ? Il faut s’interroger sur cette volonté de l’État de dominer les consciences privées. Mon amendement AC100 vise à retirer l’éducation affective et sexuelle de l’EMC en rappelant la primauté de la famille dans ce domaine.Mme Anne-Christine Lang, rapporteure. Avis défavorable. Nous pensons au contraire que l’école a un rôle important à jouer pour enseigner, aux côtés des familles – car il ne s’agit pas de substituer l’une aux autres –, le respect de soi, le respect d’autrui, la connaissance du corps… Il est extrêmement important que l’école s’occupe de ces questions, surtout dans un contexte de recrudescence d’agressions sexuelles diverses.

Mme Cécile Rilhac. À l’heure actuelle, il est important qu’on puisse parler à l’école d’affection, d’amour, de sexualité, car dans certaines familles ces termes ne sont pas abordés, sont tabous. L’école a véritablement un rôle à jouer pour expliquer comment fonctionne le corps d’une fille, le corps d’un garçon, comment les relations intersexuelles entre les femmes et les hommes peuvent avoir lieu en toute connaissance de cause et dans le respect mutuel. Il est important que l’éducation sexuelle soit dans les programmes pour que tous les enfants aient connaissance de leur corps, qu’ils sachent que leur corps leur appartient et ce qu’ils doivent en faire, comme ils le veulent.

Mme Michèle Victory. Je ne suis pas tout à fait sûre d’avoir compris de quoi on parle. Ce texte est déjà suffisamment fourre-tout ; voilà qu’on aborde à présent le contenu des programmes… Nous n’en finirons jamais. Même si je peux être d’accord avec certaines choses que j’ai entendues, pourquoi, dès lors, ne pas parler de l’importance de la musique et autre ?

Mme Elsa Faucillon. Je rejoins nos collègues pour m’opposer à cet amendement. Je mets en garde ceux qui présentent ce type d’amendements. L’école éprouve d’ores et déjà presque une forme de réticence à aborder ces questions avec les élèves au motif que des attaques ont été commises par de personnes de certaines croyances et opinions hostiles à l’idée d’en parler. À force, des sujets sont en train de monter dans notre société, comme la prostitution des mineurs, sur lesquels l’école est de moins en moins capable de mettre des mots. Faites attention à ce que le respect excessif des convictions et opinions personnelles peut produire dans la société : c’est une vraie mise en garde !

M. Thibault Bazin. Je vous remercie, monsieur le président, de m’accueillir dans votre commission.

Cet amendement relaie les questions, que l’on peut entendre, de certaines familles qui considèrent qu’il y a un âge pour tout et que certaines évocations sont sans doute prématurées pour de petits enfants. Cela n’enlève rien au respect dû à chaque personne. Parfois, les enfants ressortent de ces interventions avec beaucoup plus de questions que de réponses. Il faut être très prudent. C’est un amendement d’appel pour adapter ce que l’on enseigne dans nos écoles.

Mme Géraldine Bannier. Cet amendement est totalement déconnecté du terrain. Il suffit de passer dans des établissements où l’on rencontre des élèves victimes d’abus sexuels, des jeunes filles qui tombent enceintes très jeunes pour comprendre l’importance de cet enseignement et la nécessité de le préserver.

M. Xavier Breton. À cela je pourrais répondre qu’à l’époque où il n’y avait pas d’éducation affective et sexuelle à l’école, les atteintes sexuelles étaient bien moins nombreuses. Je m’interrogerais plutôt sur cette recrudescence. Ce n’est pas en parlant de ces questions uniquement sous l’angle de la technique, dans une vision sombre des relations entre les hommes et les femmes, que l’on restaurera le sens du respect réciproque. Il faudrait nous interroger sur cette évolution que nous condamnons tous, pour savoir d’où elle vient, et si cette vision très abstraite, très technique est vraiment la réponse appropriée. Même si c’est un domaine compliqué, il y a beaucoup à faire ; il suffit d’en parler aux enseignants, ce n’est pas un sujet facile.

Enfin, quand j’entends dire que des familles ne sont pas capables d’élever leurs enfants, ce n’est pas la conception que je me fais de la famille. Toute famille est respectable.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Tout d’abord, je fais miens les arguments de Mme Victory. Il est exact que nous devons éviter d’aborder tous les sujets de l’école à l’occasion de cette loi. Elle ne prétend pas le faire.

Sur le sujet lui-même, pour ne pas l’éviter, je rappelle tout d’abord que tout ne relève pas de la loi. Ce qu’a dit jusqu’à présent la loi en la matière est bon et il n’y a donc pas de raison de le modifier : l’éducation à la sexualité est légitime et indispensable compte tenu des problèmes de société que nous connaissons, qu’ils soient sempiternels ou plus récents.

Comme vous le savez sans doute, j’ai élaboré une circulaire au mois de septembre de façon à clarifier la façon dont cet enseignement doit se passer, dans le cadre de la législation existante – la loi prévoit trois séances par an – et, comme vous l’avez dit les uns et les autres au-delà de vos différences, dans le respect de chaque âge de la vie : on ne dit pas la même chose en primaire, au collège et au lycée. Je pense qu’il existe un relatif consensus sur le fait qu’en primaire, le respect de son corps, le respect de soi et d’autrui doivent faire l’objet de messages très nets, y compris sur le plan moral, si vous me permettez l’expression. Par la suite, au collège et au lycée intervient une explicitation correspondant à chaque âge. C’est à présent assez ancré dans nos traditions scolaires, et consacré notamment dans le programme des sciences de la vie et de la terre.

Si nous voulons éviter des phénomènes tels que ceux qui ont été mentionnés, la prostitution des mineurs, les grossesses précoces, l’invasion de la pornographie comme mode d’entrée dans la connaissance de la sexualité pour un grand nombre de jeunes, et tout le reste, cette éducation progressive à la sexualité s’imposent. Ce pourrait être un sujet de consensus national, étant entendu que cette éducation ne résout pas tous les problèmes et qu’il faut conduire également d’autres types d’actions volontaristes – le travail des infirmières scolaires notamment est décisif en la matière –, y compris autour de l’école pour une action éducative de la société sur cette question. Ce disant, je ne crois pas être en contradiction avec ce que vous avez dit les uns et les autres.

La commission rejette cet amendement.


Pro memoria :

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