Affaire Charron et Merle-Montet contre France

Cour européenne des droits de l’homme

Dans une décision datée du 16 janvier dernier, mais communiquée seulement aujourd’hui, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré irrecevable la requête de deux femmes réclamant un droit à l’enfant sans père et a renvoyé l’affaire aux juridictions françaises. Alors que l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires occupe une large part dans les débats sur la révision des lois de bioéthique, cette décision mérite un certain intérêt.

La requête nº 22612/15 avait été introduite le 7 mai 2015 devant la Cour européenne des droits de l’homme par deux femmes d’une trentaine d’années, Marie Charron et Ewenne Merle-Montet. Mariées civilement sous le régime de la loi nº 2013-404 du 17 mai 2013, dite « loi Taubira », et « souhaitant avoir un enfant dans le cadre d’un projet parental qu’elles [avaient] conçu ensemble », elles avaient refusé de contourner la législation française en se rendant à l’étranger. Marie Charron ayant été diagnostiquée infertile à la fin de l’année 2014 (ovocytes de taille insuffisante), les deux femmes s’étaient adressées au centre hospitalier universitaire de Toulouse afin de bénéficier d’une insémination artificielle de sperme d’un donneur anonyme. L’article L2141-2 du code de la santé publique réservant cette faculté aux couples infertiles « dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué », et l’infertilité des deux femmes n’étant pas pathologique, le centre hospitalier universitaire de Toulouse avait refusé de les prendre en charge.

L’avocate des requérantes, Caroline Mecary, avait alors porté l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme en mai 2015, plaidant la « violation de leur droit au respect de leur vie privée et familiale » ainsi qu’une « discrimination dans l’exercice de ce droit fondée sur l’orientation sexuelle » (articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme).

La requête a donc été jugée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme, qui a estimé que les requérantes n’avaient pas épuisé les voies de recours internes du droit français : en l’espèce, elles auraient dû saisir les juridictions administratives « d’un recours en annulation pour excès de pouvoir de la décision du CHU de Toulouse du 15 décembre 2014 » (§ 31).

Les requérantes avaient cependant fait valoir « qu’un recours pour excès de pouvoir n’aurait eu aucune chance de succès dans le contexte français actuel » (§ 16). Il est effectivement possible de ne pas épuiser les voies de recours internes « lorsqu’il est démontré dans un cas particulier qu’il se heurterait à une jurisprudence contraire établie dans des affaires similaires » (§ 23). En tel cas, la Cour européenne des droits de l’homme peut condamner directement des États. Or, en l’espèce, « les juridictions [françaises] n’ont pas [encore] été amenées à se prononcer sur des requêtes dirigées contre des refus d’accès à un processus de PMA opposés à des couples homosexuels » (§ 30).

C’est à l’unanimité que les juges ont réaffirmé que « l’obligation d’épuiser préalablement les voies de recours internes » (§ 30) était fondée sur « l’importance du principe de subsidiarité » (§ 31), selon lequel les juridictions internes sont « en principe mieux placées [que la Cour européenne des droits de l’homme pour aborder] la question complexe et délicate de la balance à opérer entre les droits et intérêts en jeu » (§ 30). Le principe de subsidiarité donne en outre aux États « la possibilité de redresser la situation qui fait l’objet de la requête avant de devoir répondre de leurs actes devant un organisme international » (ibid.).

La portée de cette décision ne doit cependant pas être surestimée, puisque la Cour européenne des droits de l’homme ne s’est prononcée que sur la question de la recevabilité de la requête, sans examiner celle-ci au fond, et nul ne peut savoir comment elle aurait alors raisonné. Une condamnation de la France aurait non seulement reconnu un « droit à l’enfant » par procréation artificielle, et donc un « droit à l’enfant sans père », mais aurait également contraint la France à intégrer ce droit dans sa législation.

Enfin, il est à noter que nos camarades de l’European Centre for Law and Justice avaient été autorisés à intervenir dans cette affaire et avaient soumis à la Cour européenne des droits de l’homme des observations écrites qu’on trouvera ci-après.


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