Réfléchir et discuter sur la PMA/GPA

Ciconia (© Sarah Richter)

Bruno Décoret (© D.R.)

Bruno Décoret (© D.R.)

Après la lecture des bonnes feuilles du livre d’Élisabeth Schemla, « PMA/GPA : “Il ne faut pas se laisser phagocyter par le lobby gay de Paris” », dont l’esprit d’ouverture invite au débat, je voudrais faire quelques remarques.

Dire que « la recherche médicale a provoqué un big-bang sans précédent pour l’espèce humaine : la dissociation totale entre procréation et sexualité » n’est pas tout à fait exact. Depuis fort longtemps, les humains savent que lorsqu’un homme et une femme ont un rapport sexuel avec éjaculation intra-vaginale, il y a une probabilité assez forte pour que la femme devienne enceinte. Les humains ont donc inventé tout un arsenal de techniques plus ou moins efficaces pour connaître le plaisir sexuel sans aboutir à une grossesse. Les pratiques homosexuelles – aussi anciennes que l’histoire nous permet de le dire – en font partie. La médecine moderne a inventé des moyens, comme la pilule, confortables pour les amants mais non sans danger pour les femmes. Ces inventions permettent à une écrasante majorité d’hommes et de femmes d’avoir une activité sexuelle fréquente sans avoir beaucoup d’enfants. Cela facilite en outre la limitation des naissances, utile pour une humanité qui a tendance à faire beaucoup d’enfants.

Plus récemment, deux autres techniques médicales ont permis le contraire. L’une, très simple, permet d’injecter dans le vagin d’une femme le sperme d’un homme, sans que celui-ci la pénètre avec son propre organe sexuel. Il y a donc possibilité de naissance sans rapport sexuel de cet homme et de cette femme, c’est ce que l’on appelle couramment procréation médicalement assistée. Plus compliquée est l’implantation d’un embryon directement dans l’utérus d’une femme, là encore sans rapport sexuel entre cette femme et l’homme fournisseur du spermatozoïde qui a fécondé l’ovule, lequel n’est pas celui de la femme ; c’est ce qu’on appelle la gestation pour autrui. Ces deux techniques ne concernent qu’une infime minorité de personnes, contrairement à la contraception.

Quant à dire « que cela plaise ou pas, il est impossible de revenir en arrière, comme pour toute invention », l’argument est léger. L’auteur cite à juste titre le nucléaire, qui devait fournir à foison une énergie inépuisable, et qui va être abandonné par de nombreux pays – et probablement tout le monde. On peut citer également les herbicides et autres produits de l’agriculture chimique, qui sont de plus en plus abandonnés, et nombre d’autres inventions supposées irréversibles et tombées dans l’oubli.

Les homos sont-ils des hétéros comme les autres ?Élisabeth Schemla écrit : « Les homos réclament et attendent de la société qu’elle admette au fond l’impensable : ils sont porteurs d’une infertilité… culturelle. » L’expression est très contestable. S’il est vrai que la quasi totalité des personnes homosexuelles ont une capacité biologique à faire des enfants, le problème est leur impossibilité d’avoir une relation sexuelle avec quelqu’un de l’autre sexe, dans le but d’avoir un enfant. Il s’agit donc d’une infertilité psychologique. Or, il existe des méthodes psychologiques pour aider ces personnes, soit à renoncer à leur désir d’enfant, soit à trouver un partenaire de l’autre sexe avec qui en faire un, éventuellement sans rapport sexuel en utilisant la méthode médicale citée ci-dessus. La plupart du temps, les personnes en question ne veulent pas avoir recours à ces méthodes psychologiques, ce qui est parfaitement légitime et ne souffre aucune critique. Mais il ne s’agit pas d’un problème culturel. Que la société ne puisse pas, ou ne veuille pas, les aider à satisfaire leur désir – tout à fait légitime lui aussi – d’avoir des enfants, c’est une chose, mais il ne faut pas inverser la cause : l’infertilité psychologique, comme la biologique, ne sont pas de la responsabilité de la société. Christiane Taubira n’est pas juste lorsqu’elle dit : « Ne peut-on pas accepter qu’un couple homo ou une personne homo ait le même droit de se reproduire qu’un couple hétéro ou une personne hétéro de ne pas le faire ? » Le problème n’est pas le droit, mais la possibilité : comment ce couple va faire pour « se reproduire » ; il faut pour cela un homme et une femme.

Le problème sociétal, ou plutôt psycho-sociétal, est que le couple est un pilier de notre société. Des couples constitués de deux hommes ou de deux femmes veulent avoir un enfant qui soit le fruit de leur amour et de leur vie sexuelle, ce qui n’est pas possible. Mais il est parfaitement possible, la loi et la morale l’autorisent, d’élever son enfant sans vivre en couple avec son père ou sa mère. C’est même déjà très fréquent, et cela se passe bien dans la grande majorité des cas. Si l’on dissocie la vie sexuelle de la procréation, pourquoi ne pas dissocier aussi la vie amoureuse (et sexuelle) de l’éducation et de la transmission parentale ? Il est envisageable d’avoir un enfant avec une personne de l’autre sexe et de vivre sa vie amoureuse et sexuelle avec un autre partenaire, éventuellement du même sexe. On a suffisamment d’expérience à l’heure actuelle pour pouvoir dire que cela n’engendre pas de problème particulier chez les enfants : ils ont un père, une mère, et ceux-ci ont chacun leur conjoint respectifs du même sexe ou non. La société pourrait, et ce serait un progrès, donner un statut au rapport que l’enfant entretient avec le conjoint ou la conjointe de son parent, statut qui ne se substituerait pas à celui de parent, et n’empiéterait pas sur le rôle parental.

Il s’agit donc, en résumé, d’aider des personnes – relativement très peu nombreuses – à avoir des enfants, les aimer, les éduquer, alors même qu’elles n’ont pas ou ne peuvent avoir un partenaire du sexe opposé pour réaliser, en couple, ce projet. La complexe et coûteuse machinerie médicale n’est pas la seule voie à examiner. Il est donc absolument nécessaire de discuter, comme l’affirment Élisabeth Schemla et Laurent Alexandre. Mais pourquoi limiter cette discussion à un dialogue entre les bio-conservateurs et les bio-progressistes ? Ce clivage risque de tourner au match entre les « pour » et les « contre », où l’on demande ensuite aux sondages de déterminer qui a gagné. Il vaut mieux ouvrir le débat à tous ceux qui le veulent, et surtout à ceux qui ne sont a priori ni pour ni contre mais ont simplement envie de réfléchir et de ne pas avaler n’importe quoi. On pourra ainsi « tourner le dos à l’impréparation, aux atermoiements, à la mollesse qui ont prévalu quand François Hollandee a tenu sa promesse électorale du mariage pour tous », comme le dit très justement Élisabeth Schemla.

Mise à jour du 7 octobre 2017

Cet article a également été publié sur le site du magazine Causeur.

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