Proposition de loi sur le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales

Proposition de loi nº 621

Françoise Laborde (© D.R.)

Françoise Laborde (© D.R.)

La sénatrice Françoise Laborde a déposé aujourd’hui une proposition de loi (nº 621) visant à renforcer le régime de l’exécution des peines des auteurs de violences conjugales en modifiant certaines dispositions du code de procédure pénale.

S’il n’est pas dans notre intention de nier l’existence ni la gravité intrinsèque des violences conjugales, il nous paraît néanmoins nécessaire de rappeler ici à quel point il est extrêmement dommageable que ce sujet soit instrumentalisé par la propagande féministe. En premier lieu, l’expression « violences conjugales » est abusive. En effet, est « conjugal » ce qui est « relatif aux liens qui unissent les époux au regard de la loi », c’est-à-dire le mariage. Or, on constate que la source d’information utilisée par Françoise Laborde, l’édition 2014 de l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple, procède à un amalgame de situations hétérogènes :

« En France, au cours de l’année 2014, 143 personnes sont décédées, victimes de leur partenaire ou ex-partenaire de vie (conjoint, concubin, pacsé ou “ex” dans les trois catégories). » (p. 3)

Au regard de la situation matrimoniale, on ne compte que 80 décès survenus au sein de couples mariés, soit 55,94 % de l’ensemble (p. 6). Rapporté à environ 11,5 millions de couples mariés en France, soit 23 millions de personnes, le taux de mortalité par violence conjugale est donc de 0,0003472 %. Parmi toutes les causes de décès, celle-ci est donc particulièrement insignifiante, et Françoise Laborde n’est en rien fondée à parler d’« une réalité sociale qui génère toujours de nombreuses victimes ».

La « réalité sociale » cède d’ailleurs vite le pas à la mythologie dans la logorrhée victimaire tenant lieu d’exposé des motifs :

« Le secrétariat pour l’égalité entre les femmes et les hommes estime que 223 000 femmes par an subissent des violences de la part de leur conjoint ou concubin, pour 164 000 des violences physiques. On considère en outre qu’un nombre non négligeable de faits de violence ne sont pas avisés, en raison de l’intimidation des victimes qui renoncent à porter plainte. »

Quel est le fondement des estimations citées ? Qui se cache derrière le « on » qui « considère […] qu’un nombre non négligeable de faits de violence ne sont pas avisés » ? Qu’est-ce qu’un « nombre non négligeable » qu’on néglige pourtant d’exposer ? Autant de questions dont il vaut sans doute mieux ne pas chercher la réponse. Il n’en reste pas moins curieux qu’une proposition de loi soit motivée de façon aussi légère.

La visée idéologique de ladite proposition est confirmée par le deuxième paragraphe de son exposé des motifs qui met l’accent sur « le caractère inégalitaire de l’exposition à ces violences ». Il faut ici mettre en cause la méthodologie de l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple qui ne retient « que les assassinats, homicides volontaires ou violences suivies de mort commis à l’encontre d’un partenaire de vie » (p. 4), mais pas les suicides (à l’exception de ceux des auteurs de violences). Or, s’il est bien « un nombre non négligeable », c’est celui des décès par suicide, qui avoisine les 10 000 chaque année en France, soit bien plus que le nombre de morts sur les routes ou au sein du couple (le deuxième rapport de l’Observatoire national du suicide, publié début février 2016, indique que 9 715 personnes sont mortes par suicide en 2012, tandis que la route faisait 3 426 victimes). De plus, « le caractère inégalitaire » du suicide est flagrant puisque 75 % des décès concernent des hommes. Si tant est qu’il soit permis à de simples citoyens de se livrer eux aussi à des considérations et des estimations, il apparaît que « la solitude extrême […] des hommes suite à une séparation, un divorce et très souvent la perte du lien avec leurs enfants […] est un thème majeur de souffrance exprimée [1] », provoquant le passage à l’acte. En tout état de cause, il conviendrait donc de considérer « un nombre non négligeable » de suicides comme autant d’agressions entraînant des morts violentes au sein du couple. Ce qui aurait évidemment pour inconvénient majeur de mettre à mal la propagande féministe sénatoriale…

Les chiffres du suicide

La même propagande tait un autre « nombre non négligeable », celui des facteurs contextuels détaillés dans l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple (pp. 10-11) :

« Dans 18 cas, le passage à l’acte a été motivé par la maladie et/ou la vieillesse de la victime, de l’auteur ou des deux.

« La présence d’alcool dans le sang a été constatée chez 43 auteurs […] soit 30,07 % des affaires. […]

« Dans 21 cas, les deux membres du couple étaient alcoolisés au moment des faits soit 14,68 % des affaires.

« 15 couples ont été identifiés comme consommateurs chroniques d’alcool […].

« Dans 6 affaires, on constate la consommation de stupéfiants […]. Dans 10 autres affaires [auteurs et victimes] étaient connus pour être consommateurs habituels de produits stupéfiants […].

« Dans 30 cas (soit 20,98 %), l’auteur faisait l’objet d’un suivi psychologique ou psychiatrique antérieur, notamment pour dépression. Parmi eux, 7 avaient déjà fait l’objet d’un internement psychiatrique.

« S’agissant des victimes, 17 d’entre elles étaient suivies médicalement, dont 7 avaient déjà été internées.

« Au total, ce sont donc 47 personnes qui connaissaient des troubles psychiatriques et/ou psychologiques […]. »

Ces précisions prises en compte, il s’avère que plus de la moitié des faits de violence cités par l’étude sont imputables à des causes extra-conjugales bien connues, qu’on retrouve dans les statistiques générales de la criminalité : alcool, altération du discernement liée à l’âge ou à la maladie, médicaments psychotropes, stupéfiants. En tout état de cause, il s’agit là de problèmes sociaux qui n’ont strictement rien à voir avec « les inégalités entre sexes ».

Enfin, nous convenons bien volontiers que « les aménagements de peines qui sont décidés dans certains cas entraînent un sentiment de grande incompréhension chez les victimes et leurs familles ». Ce constat n’est cependant pas propre aux violences dites conjugales. Tous les parents qui pleurent des enfants victimes de (multi-)récidivistes ayant bénéficié de la mansuétude pénale peuvent le partager. Si son discours en semble inspiré, nous doutons fort que Françoise Laborde ait des affinités avec l’Institut pour la justice ; quoi qu’il en soit, on peut se demander pourquoi les restrictions qu’elle préconise devraient être réservées aux auteurs de violences dites conjugales. La violence hors du couple serait-elle moins à craindre, les victimes sans conjoint seraient-elles moins dignes d’être protégées ?

Notes
  1. Beltzer (Nathalie), Gourier-Fréry (Claire), Ulrich (Valérie), « Données et actions des associations de prévention du suicide en France », in : Collectif, Suicide. Connaître pour prévenir : dimensions nationales, locales et associatives, Paris, Observatoire national du suicide, février 2016, p. 91.

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