Revirement de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paradiso et Campanelli contre Italie

Cour européenne des droits de l’homme

Un couple stérile italien, Donatina Paradiso et Giovanni Campanelli, avait commandé et acheté (49 000 euros) un enfant auprès de la compagnie russe Росюрконсалтинг (Rosjurconsulting). Après analyse par les autorités italiennes, il apparut que l’enfant n’avait « aucun lien génétique » avec les commanditaires : il avait effectivement été produit sur commande par fécondation in vitro et gestation pour autrui pour être vendu. Constatant la violation des normes internationales et de l’ordre public italien, les juges italiens décidèrent, dans l’intérêt de l’enfant, de retirer celui-ci de la garde de ses acquéreurs pour le confier à l’adoption. Au final, l’enfant vécut moins de six mois avec ses commanditaires.

Saisie par le couple, la Cour européenne des droits de l’homme avait condamné l’Italie à verser 30 000 euros aux requérants par une décision du 27 janvier 2015. Concédant que l’Italie pouvait refuser de reconnaître la filiation établie en Russie, elle avait néanmoins estimé que l’achat d’un enfant pouvait constituer le fondement d’une vie familiale protégée par la Convention européenne des droits de l’homme dès lors que les acquéreurs s’étaient comportés « comme des parents » pendant quelques mois, que la protection de cette « vie familiale » primait le respect de l’ordre public, qu’il était dans l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses acquéreurs et que le retrait de l’enfant avait porté atteinte au respect de la vie familiale et privée des requérants.

Ce faisant, au nom de « l’intérêt de l’enfant », cet arrêt entérinait la production sur commande et la vente d’enfant ! À aucun moment la Cour européenne des droits de l’homme ne s’était interrogée sur l’exploitation de la mère porteuse et des vendeurs de gamètes, la moralité de la gestation pour autrui et la violence infligée aux enfants conçus comme des marchandises. Les deux juges dissidents, Guido Raimondi et Robert Ragnar Spano, avaient souligné que cet arrêt réduisait à néant « la liberté des États de ne pas reconnaître d’effets juridiques à la gestation pour autrui ».

À la demande du gouvernement italien, l’affaire a été renvoyée « en appel » devant la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme. Celle-ci a publié aujourd’hui sa décision, qui renverse la précédente.

Par onze voix contre six, la Grande Chambre a jugé que les autorités italiennes avaient légitimement retiré aux adultes commanditaires la garde d’un enfant obtenu illégalement par gestation pour autrui.

À l’encontre de la première décision, la Grande Chambre a conclu à l’absence de vie familiale, même seulement de facto, entre l’enfant et les requérants compte tenu de « l’absence de tout lien biologique entre [eux], la courte durée de la relation avec l’enfant et la précarité des liens du point de vue juridique », et ce « malgré l’existence d’un projet parental et la qualité des liens affectifs » (§ 157).

Si la Grande Chambre a maintenu que la vie privée des requérants avait bien été affectée par le retrait de l’enfant, elle a cette fois estimé que leurs droits n’avaient pas pour autant été violés. Le retrait de l’enfant avait pour « but légitime » la « défense de l’ordre » et la « protection des “droits et libertés” d’autrui », en l’occurrence la protection du lien de filiation (§ 177). Elle a également estimé que « l’enfant ne subirait pas un préjudice grave ou irréparable en conséquence de la séparation » et que les autorités avaient « ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu en demeurant dans les limites de l’ample marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce » (§ 215).

Dans ce même § 215, la Grande Chambre rappelle que « la Convention ne consacre aucun droit de devenir parent » et que « l’intérêt général » prime « le désir de parentalité » :

« Accepter de laisser l’enfant avec les requérants, peut-être dans l’optique que ceux-ci deviennent ses parents adoptifs, serait revenu à légaliser la situation créée par eux en violation de règles importantes du droit italien. »

Par cette décision, la Grande Chambre a heureusement rendu aux États le droit de refuser le fait accompli et de sanctionner les personnes qui ont recours illégalement à la gestation pour autrui, la sanction pouvant aller jusqu’au retrait de l’enfant. Il est cependant regrettable qu’elle n’ait pas saisi l’occasion pour condamner la pratique même de la gestation pour autrui.

Références
Cour européenne des droits de l’homme
Grande Chambre
24 janvier 2017
Paradiso et Campanelli c. Italie

Attention ! La jurisprudence et la loi évoluent en permanence. Assurez-vous auprès d’un professionnel du droit de l’actualité des informations données dans cet article, publié à fin d’information du public.

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