La cour d’appel de Chambéry soutient la coparentalité

Le palais de justice de Chambéry en Savoie (© Florian Pépellin)

Lors de son audience de ce 23 janvier 2017, la cour d’appel de Chambéry a rendu deux arrêts importants au regard des conséquences de la séparation des parents sur les enfants. Le fait que ces deux décisions aient été prises par une formation de trois magistrats hommes n’est peut-être pas indifférent mais, en tout état de cause, aucun sexisme ne peut être suspecté puisque les demandeurs ayant eu gain de cause étaient une mère dans la première affaire, un père dans la seconde.

Dans l’un et l’autre cas, les décisions ont été prises en considérant de façon objective l’intérêt supérieur de l’enfant. À défaut de définition légale dudit intérêt, la pratique judiciaire se caractérise trop souvent par une totale subjectivité des décisions, chaque magistrat déterminant à sa façon et in abstracto ce que peut être l’intérêt d’enfants dont il ne connaît rien, jugeant de même des aptitudes de parents qu’il ne connaît pas davantage. C’est ainsi que s’est peu à peu constitué dans les tribunaux français une sorte de droit coutumier, assez fréquemment hostile à la résidence alternée. Cette disposition, seule à même de garantir une réelle coparentalité, ne doit pas être subordonnée à des critères extra-légaux autant que fallacieux tels que l’absence de conflit parental, l’âge de l’enfant, la capacité des parents à dialoguer et à s’entendre, ou leurs disponibilités respectives.

Dans la première affaire, la résidence habituelle d’un enfant, âgé de trois ans au début de la procédure de divorce de ses parents, avait été modifiée à quatre reprises en l’espace de cinq ans, au fil d’une partie de ping-pong entre le tribunal de grande instance d’Annecy et la cour d’appel de Chambéry : d’abord chez sa mère, puis chez son père, de nouveau chez sa mère, puis de nouveau chez son père… Saisie par la mère, la cour d’appel de Chambéry a su prendre en compte intelligemment l’évolution de la situation ainsi que la volonté de l’enfant lui-même de vivre en « résidence alternée chez chacun de ses parents ».

Ayant d’abord rappelé que « seule la survenance d’un fait nouveau peut justifier la modification d’une précédente décision de justice devenue définitive » et « qu’il appartient au demandeur d’en rapporter la preuve », la cour a reconnu que le temps passé depuis la précédente décision de justice (deux ans et demi en l’espèce) ainsi que la volonté de l’enfant, exprimée notamment par « deux courriers et dessins manuscrits », constituaient bien un élément nouveau, justifiant un appel en justice. La cour a notamment admis « qu’il est plausible que l’enfant ait évolué sur la question de sa résidence » et que celle-ci est un « élément consubstantiel à l’intérêt de l’enfant ».

Les allégations du père, qui prétendait que la mère avait trompé les trois experts psychiatres intervenus dans la procédure et qu’elle avait des relations difficiles avec l’enfant, ont ensuite été rejetées. La cour a finement remarqué :

« Qu’à supposer la mère nocive, voire dangereuse, pour l’enfant Z…, comme le soutiennent les écritures de Monsieur, il n’est pas expliqué pourquoi cette dernière bénéficierait sur l’enfant d’un droit de visite et d’hébergement élargi, à moins de considérer que la dangerosité serait acceptable sur courte période. »

Enfin, même s’« il n’est pas invraisemblable que [la mère] ait orienté l’enfant à demander la mise en place d’une garde alternée », la cour d’appel de Chambéry a su considérer l’essentiel :

« Cependant, cette demande n’est pas orientée contre le père, mais est sollicitée pour harmoniser le temps passé auprès de chacun des parents, ce qui fait de la demande de Madame une sollicitation légitime et raisonnable.

« […] La mise en place d’une résidence alternée réduirait les allers/retours de l’enfant entre les deux domiciles parentaux, et aboutirait à donner à l’enfant un rythme plus harmonieux et moins hachuré entre les lieux de vie de l’enfant.

« […] L’intérêt de l’enfant, son équilibre et son épanouissement, commandent qu’il y ait une répartition la plus harmonieuse possible du temps passé avec chaque parent. »

Références
Cour d’appel de Chambéry
Troisième chambre
Audience non publique du 23 janvier 2017
Arrêt nº 16/01313

Réformant une ordonnance qui avait fixé la résidence habituelle d’un enfant âgé de deux ans et demi au domicile de sa mère, la deuxième décision de la cour d’appel de Chambéry résulte de l’interprétation stricto sensu des articles 371-4 et 373-2 du Code civil dans l’esprit de la loi nº 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale :

« Attendu qu’en application des dispositions de l’article 371-4 du Code civil, l’intérêt de l’enfant est d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants ;

« Que l’article 373-2 du même Code dispose que “chacun des père et mère doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent”. »

C’est avec cet éclairage que la cour d’appel de Chambéry a réfuté un par un les arguments retenus par le juge aux affaires familiales pour refuser la résidence alternée demandée par le père. Nous soulignons ici quelques points qui nous paraissent particulièrement importants, en ce qu’ils vont à l’encontre de certaines objections propagées par les adversaires de la coparentalité.

La cour d’appel de Chambéry infirme ainsi l’idée selon laquelle le conflit parental rendrait impossible la résidence alternée :

« Attendu qu’il est pertinent de faire remarquer que le système de résidence alternée fonctionne d’autant mieux que les parents adhèrent à ce système dans l’intérêt de l’enfant ;

« Que cependant, l’enfant peut être confronté au conflit qui traverse les parents à l’occasion d’un autre système de résidence, et notamment à l’occasion de l’exercice par l’un ou l’autre des parents de son droit de visite et d’hébergement ;

« Qu’il en résulte que le conflit entre les parents et la capacité de chacun d’entre eux à l’occulter lorsqu’il s’agit de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas en lien avec le système de résidence adopté… »

Le respect de la coparentalité doit amener les parents à toujours prendre ensemble des décisions pour la vie de leurs enfants ; ils y parviendront d’autant mieux qu’ils pourront chacun s’investir de façon significative dans l’éducation des enfants. Or, un « droit de visite et d’hébergement » ne permet pas d’établir la relation équilibrée nécessaire à cette fin ; pire, cette annihilation parentale entretient souvent le conflit et le ressentiment.

Fixer chez sa mère la résidence de l’enfant en raison de son jeune âge (trois ans en l’espèce) n’est pas plus pertinent :

« Attendu que l’âge de l’enfant n’est pas un critère décisif du choix de la résidence ; que ce critère reviendrait à refuser systématiquement un mode de résidence alternée pour de jeunes enfants et à attribuer ipso facto la résidence à la mère ;

« Que le bien-fondé de l’automaticité d’un tel choix est loin d’être démontré, et ne fait en outre pas l’unanimité des écoles de pensée psychologiques… »

La cour d’appel de Chambéry a également réfuté une autre objection courante :

« Qu’enfin, le critère de disponibilité de l’un ou l’autre des parents ne revêt pas un caractère déterminant ;

« Que le choix d’un tel critère reviendrait à privilégier systématiquement le parent qui ne travaille pas, ou qui travaille le moins. »

Ayant rappelé que « le critère capital qui guide les décisions du juge aux affaires familiales est celui de l’intérêt de l’enfant », la cour d’appel de Chambéry a bien pris soin de préciser celui-ci :

« L’intérêt de l’enfant est de préserver la continuité et l’effectivité des liens avec chacun de ses parents, tant que la situation respective des parents le permet, et non de privilégier le lien avec un seul de ses parents, dès l’instant où l’enfant n’est plus un nourrisson et est ainsi capable de se détacher au quotidien du lien maternel. »

Ce dernier membre de phrase nous paraît être le seul point faible de la motivation : il accrédite l’idée que l’enfant aurait seulement besoin de sa mère durant les premiers mois de sa vie, alors que le lien parental avec un nourrisson ne se réduit pas à l’allaitement. À ce détail près, nous nous réjouissons que les magistrats de la cour d’appel de Chambéry aient compris que tout enfant a besoin de liens fréquents et réguliers avec ses deux parents, même séparés, et que la coparentalité passe par « une répartition la plus harmonieuse possible du temps passé avec chaque parent », de sorte que chacun puisse assumer au mieux, en dépit de la séparation, ses responsabilités éducatives.

Au demeurant, il convient de rappeler que des enfants de plus en plus nombreux vivent dès leur plus jeune âge en résidence alternée, entre le domicile parental et celui de leur nourrice, ou la crèche, puis l’école, sans en souffrir outre mesure… Quel que soit le mode de résidence, l’enfant de parents séparés vit de toute façon entre deux domiciles, et il n’y a aucune raison pour qu’un partage équilibré du temps passé ici et là puisse lui être néfaste.

Références
Cour d’appel de Chambéry
Troisième chambre
Audience non publique du 23 janvier 2017
Arrêt nº 16/01361

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