Brefs éléments de réflexion sur quelques nouvelles « politiques »

Paternet

Pour information
Le texte qui suit a été rédigé pour nourrir la réflexion de l’association SOS PAPA dans le cadre de l’élaboration d’un amendement à la proposition de loi nº 1856 relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 27 juin dernier et transmise au Sénat, au cas (peu probable) où celui-ci se déciderait à en discuter. Il nous a semblé que cette note pourrait intéresser nos lecteurs et être diffusée plus largement.

Projet d’amendement

complément à l’article 7

L’article 7 serait gardé en l’état, mais complété ainsi :

Article 7

L’article 373-2-9 du même code est ainsi modifié :

1º Les trois premiers alinéas sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« La coparentalité est un élément déterminant de l’intérêt de l’enfant. En application des articles 373-2-7 et 373-2-8, la résidence de l’enfant est fixée au domicile de chacun des parents, selon les modalités de fréquence et de durée déterminées d’un commun accord entre les parents ou, à défaut, par le juge. Si l’un des deux parents souhaite s’occuper de l’éducation de ses enfants à parité de temps, le juge adopte la solution la plus respectueuse de ce principe d’égalité, sauf raison grave imputable au demandeur et dûment motivée par le juge. »

« À titre exceptionnel, le juge peut fixer la résidence de l’enfant au domicile de l’un des parents. Dans ce cas, il statue sur les modalités du droit de visite de l’autre parent. Si les circonstances l’exigent, ce droit de visite peut être exercé dans un espace de rencontre qu’il désigne. » ;

2º Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Ces différentes modalités peuvent être ordonnées par le juge à titre provisoire pour une durée qu’il détermine. Au terme de celle-ci, il statue définitivement. »

Nota : À « sécuriser » d’une mention permettant d’éviter une surenchère d’accusations à caractère pénal.

Observations

« L’article 7 serait gardé en l’état, mais complété ainsi… »

Ce projet d’amendement commence par une antinomie, à corriger : soit l’article 7 est « gardé en l’état », soit il est « complété », mais il n’est pas possible qu’il soit les deux à la fois…

« La coparentalité est un élément déterminant de l’intérêt de l’enfant. »

Outre que l’usage du néologisme pléonastique « coparentalité » (par nature, on est forcément parent avec un autre) me semble toujours regrettable, ce principe est déjà intégré dans le code civil, comme l’a rappelé le Groupe de travail « Intérêt supérieur de l’enfant » dans son rapport d’étape du 22 mai 2012 :

« Même séparés, les parents restent parents. “Les père et mère exercent en commun l’autorité parentale” (article 372 du code civil), qu’ils soient mariés ou non, pacsés ou non, et qu’ils vivent ensemble ou qu’ils soient divorcés ou séparés, à partir du moment où l’enfant a une filiation établie avec ses deux parents. Quelle que soit la situation matrimoniale des parents ceux-ci doivent continuer à exercer en commun leurs responsabilités de parents. […]

« La coparentalité traduit la conviction qu’il est de l’intérêt de l’enfant d’être élevé par ses deux parents même lorsque ceux-ci sont séparés ; en effet “la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale” [article 373-2 du code civil].

« Les parents sont à égalité dans l’exercice de cette autorité et les décisions concernant l’enfant doivent être prises en accord entre eux.

« Pour bien installer cette coparentalité dans les faits et la durée, la loi a inscrit un deuxième principe primordial [article 373-2 alinéa 2 du code civil] : chaque parent doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant mais également respecter les liens que celui-ci a établis avec son autre parent. En cas de difficultés, le juge a le pouvoir de prendre les mesures nécessaires pour maintenir ces liens [article 373-2-6 du code civil]. »

À titre subsidiaire, le concept d’« intérêt de l’enfant », non défini par la loi, reste soumis à l’interprétation subjective du magistrat.

Bref, qu’est-ce que cette incise liminaire apporte de neuf ?

« Si l’un des deux parents souhaite s’occuper de l’éducation de ses enfants à parité de temps, le juge adopte la solution la plus respectueuse de ce principe d’égalité, sauf raison grave imputable au demandeur et dûment motivée par le juge. »

La formulation est déjà juridiquement douteuse : un juge entérine, homologue, tranche, etc. Il n’adopte pas.

L’idée sous-jacente est assez proche de la loi belge. Voir ses limites pointées dans le dernier rapport du Haut Conseil de la Famille :

« Le tribunal examine “prioritairement” (donc pas obligatoirement) la possibilité de fixer l’hébergement de l’enfant de manière égalitaire entre ses parents. »

Et dans le même rapport, à la page précédente, cette petite critique formulée à notre encontre (le passage en gras est de mon fait) :

« Les juges devraient en particulier justifier les motifs dirimants empêchant la résidence alternée et motiver leur jugement de façon plus argumentée. On notera qu’aucune analyse raisonnée ne semble avoir été faite pour lister les motifs dirimants qui justifieraient un refus. »

Ibid., p. 80.

Or, les motifs dirimants sont connus, puisque déjà largement utilisés. Par exemple le caractère conflictuel de la séparation, un facteur qui apparaît très souvent lorsque des enfants sont en jeu :

« Les divorces sont plus fréquemment contentieux en présence d’enfants mineurs. »

Ibid., p. 49.

Et les juges n’aiment pas cela (le passage en gras est de mon fait) :

« Dans le cadre des divorces par consentement mutuel, la résidence de l’enfant est fixée dans 64 % chez la mère et dans les divorces pour faute dans 81 % des cas (données 2012). La résidence alternée est rarement décidée en cas de divorce pour faute (7 %) ; c’est le consentement mutuel qui lui est le plus propice (30 %). »

Ibid., p. 76.

Autre motif dirimant : l’absence d’accord entre les parents. Ce n’est pas seulement un duplicata du précédent, mais aussi un argument qui nous est systématiquement opposé : les parents sont très majoritairement d’accord pour que la résidence habituelle des enfants soit fixée chez la mère ; donc, votre problème n’en est pas un. À la limite, le problème serait plutôt la santé mentale de la poignée d’originaux qui s’obstineraient, pour des raisons plus ou moins troubles, à refuser cette tendance majoritaire…

« – 52 % des divorces se font à l’amiable avec une convention homologuée par le juge aux affaires familiales (JAF) ;

« – 48 % des divorces incluant des enfants mineurs sont contentieux ;

« – dans 85 % de ces divorces contentieux, le JAF a finalement pu entériner un accord portant à la fois sur la résidence et la pension alimentaire ;

« – dans 10 % des cas le JAF a dû trancher en fin de procédure, dans 5 % des cas, il a dû prendre une décision en l’absence d’un parent. »

Groupe de travail « Intérêt supérieur de l’enfant », op. cit., p. 3.

« Les accords entre les parents sont fréquents

« En 2012, les parents sont d’accord dans 81 % des jugements sur la résidence de leurs enfants, si l’on somme les divorces par consentement mutuel, les autres types de divorce où les parents s’accordent sur la résidence et les séparations consensuelles (129). Il faut noter la situation particulière où un des deux parents n’exprime pas de demande (9 % des cas). Les 10 % restants sont des affaires conflictuelles. »

Note 129 : « Le taux d’accord sur la résidence de l’enfant est (par définition) de 100 % dans les divorces par consentement mutuel, de 84 % dans les divorces contentieux et de 70% dans les séparations. »

Autre motif dirimant bien connu : l’absence de conditions d’hébergement adéquates (localisation à proximité du domicile de l’autre parent, superficie). L’incidence sociale de la séparation du couple parental a été soigneusement ignorée par le législateur en 2002. Estelle Leprette avait bien étudié le sujet il y a dix ans dans un mémoire de Master, qu’il faut relire :

« La loi du 4 mars 2002 ne contient aucune disposition quant aux incidences sociales et fiscales de la résidence alternée. Ces problèmes avaient déjà fait l’objet de suggestions de la part de Madame Irène THÉRY à l’occasion du rapport rendu à la Ministre de l’Emploi et de la Solidarité et au garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Elle suggérait ainsi la “possibilité pour chacun des parents de faire état de son devoir d’hébergement pour obtenir un logement social approprié”, “le réaménagement de la taxe d’habitation et de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, de façon à tenir compte de la présence d’enfants aux deux foyers” ainsi que la “réorganisation du versement des allocations familiales pour tenir compte du double hébergement de l’enfant”. […]

« Il semble tout de même que le législateur a sous-estimé les frais et les difficultés engendrés par la résidence alternée. Elle est réservée, selon les dires de certains juges aux affaires familiales, aux milieux favorisés. »

Le sujet a été repensé, mais de façon un peu superficielle faute des données nécessaires, dans un chapitre du dernier rapport du Haut Conseil de la Famille, « Améliorer les conditions de logement chez le parent chez lequel l’enfant ne réside pas à titre principal » (pp. 145-151).

Il serait notamment intéressant de connaître la situation domiciliaire des parents lors de leur première audience devant le juge aux affaires familiales. Je n’ai pas trouvé d’information sur ce point. Les parents non-mariés sont tenus de s’être préalablement séparés pour que leur saisine soit acceptée, mais qu’en est-il des parents mariés ? Et quel que soit le statut matrimonial, combien de pères peuvent se reloger dans les conditions requises ? Le problème est très fréquent à Paris et en région parisienne, où même des pères avec un revenu relativement élevé (amputé d’une pension alimentaire proportionnelle) se retrouvent dans des situations critiques. J’ai ainsi vu récemment un banquier, en instance de divorce avec une femme au foyer et cinq enfants, affligé de charges supérieures à ses revenus et ne survivant qu’avec l’aide de sa nouvelle compagne et de son père (voir témoignage en annexe).

À mon avis, c’est là-dessus qu’il faut faire bouger la législation : rendre possible pour tous l’exercice d’un droit déjà entériné. Sinon, le risque est de bloquer la situation pendant une nouvelle dizaine d’année. Après 2002, le discours implicite du pouvoir a été en gros : « Maintenant que le principe de la résidence alternée est dans le code civil, arrêtez de nous faire chier… » En remettre une couche sur le seul principe, sans se soucier de ses conditions concrètes d’exercice, ne changera rien.

À toutes fins utiles, un polytechnicien devrait être capable de quantifier le pourcentage d’augmentation de résidence alternée résultant de ce seul article 7 complété. Un ou deux points de plus ?

Toujours à mon avis, il y a longtemps que l’association aurait dû se pencher sur le problème de la formulation juridique adéquate des dix-sept propositions publiées sur le site national. Peut-être est-il encore temps de faire bosser là-dessus un staff juridique (les avocats actuels, et celles recrutées pour la téléassistance). Par le biais d’amendements et de sous-amendements, il est tout à fait possible de modifier plusieurs pans de la législation actuelle, comme cela avait été tenté lors de l’élaboration de la loi du 4 mars 2002. Estelle Leprette évoque ce procédé aux pp. 10-11 de son mémoire – les conditions de 2002 (fin de la XIe législature) n’étaient pas propices au succès, mais là nous avons jusqu’à 2017…

Dans le même ordre d’idée, il serait intéressant de lister et formuler adéquatement une bonne partie des propositions contenues dans le dernier rapport du Haut Conseil de la Famille, telle celle-ci :

« L’expression “condamner à verser une pension alimentaire” pourrait être évitée dans la formulation des jugements. »

De même pour la condamnation à être expulsé du domicile conjugal. Tout est fait pour discréditer les pères aux yeux de leurs enfants et ruiner la possibilité même de l’exercice conjoint de l’autorité parentale. Quelle autorité peut avoir un père qui se prétend innocent, mais qui est ainsi doublement condamné par l’institution judiciaire ?!

Enfin, ce seul article 7 « complété » ne règle en rien les problèmes récurrents que nous rencontrons si souvent à la permanence : éloignements géographiques volontaires et non représentations d’enfants. Il me semble donc qu’il serait beaucoup plus politique de demander aux sénateurs d’intégrer la majeure partie des motivations de la proposition de loi nº 1856 originale dans le dispositif (voir avec le staff juridique pour les formulations idoines), plutôt que de s’échiner sur deux phrases…

Bibliographie sélective

Annexe

Courrier électronique envoyé par Philippe S. le 23 novembre 2014 :

« Bonjour,

« Je suis adhérent depuis août, séparé depuis plus de deux ans et ai déposé une assignation en divorce auprès du tribunal de Paris.

« Suite à une ordonnance de non-conciliation du 8 octobre 2013, je fais face à la situation suivante :

« – mon ex-femme bafoue systématiquement mon autorité parentale conjointe en toute impunité. Elle a dressé mes enfants contre moi, situation que mon avocat qualifie d’aliénation parentale tant les faits sont extrêmes. Elle envisage de déménager avec les enfants à 600 km de Paris, sans m’avoir consulté.

« – les pensions exigées sont supérieures à mon revenu fixe. Tant et si bien que même une saisie sur mon salaire n’arrive pas à les honorer en totalité. Par conséquent, je ne peux honorer mes impôts, payer mon loyer et mes charges. Je vais devoir déménager pour réduire mon loyer mais ne pourrai sans doute pas signer un bail vu la saisie sur salaire !

« J’ai donc fait appel de l’ordonnance de non-conciliation. Mais, plus d’un an après, je n’ai toujours pas de date d’audience ! Il paraît qu’il n’y a pas de possibilité de recours urgent, de référé, dans ma situation…

« Je fais feu de tout bois pour m’en sortir et j’envisage même de partir à l’étranger, pour me sauver financièrement. Mais je ne le fais pas pour ne pas m’éloigner des enfants. Je ne sais pas combien de temps je peux encore tenir, si les impôts saisissent mes meubles, si mon père ne peut plus m’aider pour le loyer.

« J’ai besoin d’aide, j’ai besoin de conseils. Mes démarches sont-elles les bonnes ? Que puis-je faire d’autre ? J’aimerais parler à quelqu’un pour trouver une solution à mes problèmes.

« Merci pour votre aide.

« Bien cordialement

« Philippe S. »

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