Les tendances nouvelles que mettent en œuvre les JAF de Paris

Coujard (Dominique), « Les tendances nouvelles que mettent en œuvre les JAF de Paris », allocution prononcée à Paris le 12 juin 1999, lors du colloque organisé dans le cadre du huitième congrès SOS PAPA autour du thème « L’enfant écarté du père ». Dominique Coujard est magistrat, vice-président du TGI de Paris.

Ma présence ici, et même au service des affaires familiales, apparaît un peu comme une erreur de casting, ou en tout cas comme un contre-emploi, mais c’est peut-être exprès qu’on m’a confié ce service il y a très peu de mois.

C’est un peu difficile de parler des affaires familiales quand on incarne l’institution judiciaire, parce que je postulerai que l’institution judiciaire n’a pas de discours à tenir sur la question. Son seul souci est de garder une certaine distance par rapport aux problèmes qui lui sont posés. Si j’avais des théories sur les problèmes familiaux, il faudrait déjà que je change de travail et que j’aille faire autre chose. Ma fraîcheur est relative parce qu’en fait j’ai déjà été juge aux affaires matrimoniales, à l’époque où cela s’appelait comme ça, il y a vingt ans, au tribunal de Paris. C’est donc un retour, et je boucle probablement la boucle avec ce service. Que dire ? Je crois qu’il faut décrire l’institution parisienne, parce que cela peut présenter certains intérêts, et puis peut-être les problèmes auxquels on est confrontés.

Les affaires familiales, c’est quatre magistrats, dont trois hommes depuis que j’y suis ; ils n’étaient que deux auparavant…

[Applaudissements]

… et je dois vous dire que les choses ont beaucoup changé en vingt ans. La proportion était pratiquement la même aux affaires matrimoniales il y a vingt ans, et je dois dire que les femmes que je côtoyais étaient assez BCBG, « bien comme il faut », avec des idées très convenues sur les problèmes familiaux.

Aujourd’hui, les femmes sont absolument différentes, et la première chose que j’ai envie de dire sur ce service, c’est que, s’il y a des juges qui « rament » tous les jours pour les maris, ce sont bien les juges aux affaires familiales. Elles passent leur temps tous les jours à convaincre les mères que ce n’est plus comme avant, que les idées traditionnelles n’ont plus cours, que les pères doivent voir leurs enfants, et surtout que les enfants doivent voir leur père ; je dirais qu’elles sont plus dans la logique SOS ENFANTS que SOS PAPA, mais de ce point de vue-là, le travail des JAF – ça a un côté « roquet » mais on nous appelle comme cela – a bien changé par rapport à celui des JAM.

J’ai entendu l’orateur précédent parler d’allégations. C’est vrai que c’est un sujet auquel on est confronté, c’est une question un peu à la mode. On en parle de plus en plus, et je pense que si on en parle de plus en plus c’est qu’il doit y avoir un fond de réalité au départ. Et je pense qu’il faut partir de cette réalité. Bien entendu, des gens ont pu avoir intérêt à la tirer à eux, à s’en servir, et à lui faire dépasser son importance réelle, qui, à mon avis, est quand même très résiduelle. Alors, ce n’est pas le sujet principal mais j’apporte mon avis, on a certain nombre de ces questions, probablement un peu plus nombreuses qu’avant, qui touchent généralement au comportement du père à l’égard des enfants.

La première chose que je peux vous dire, c’est que ce sont des questions pénales, et que ce n’est pas le juge des affaires familiales qui va ordonner une expertise, mettre encore en route une usine à gaz avec un psychologue. Je vais vous dire autre chose : on a autant confiance dans les « psys » qu’eux ont confiance dans la Justice. On ne croit pas un mot de ce qu’ils nous racontent. Vous savez bien qu’une expertise est essentiellement un parapluie qui va servir au juge à justifier ces décisions : « Je fais comme cela puisque l’expert l’a dit, et je suis tranquille… »

[Applaudissements]

Il faut donc savoir que ces problèmes d’allégations d’abus sexuels, visant généralement le père, ont un caractère pénal et que c’est généralement le juge des enfants qui est saisi en premier, ainsi bien souvent qu’un juge d’instruction, lorsqu’elles sont soulevées. Quand une affaire est ouverte, le juge aux affaires familiales est obligé d’attendre car c’est l’institution pénale qui va dire si oui ou non ces allégations sont fondées. Ce qui est intéressant, c’est d’arriver en bout de piste, lorsque l’institution pénale a donné son verdict. Est-ce fondé ou pas ? Quand ce ne l’est pas, il est certain que cela a malgré tout un effet de boomerang contre la personne qui a invoqué ces choses-là, d’autant plus qu’on introduit en ce moment quelque chose que vous connaissez largement autant que nous, une notion qui a son origine dans le droit américain de la Californie : la capacité d’un parent à favoriser les relations avec l’autre parent. Par hypothèse, à partir du moment où un parent a fait de fausses allégations, il n’apparaît pas être le plus apte à favoriser les relations avec l’autre parent…

[Applaudissements]

Il faut donc savoir que ces choses-là peuvent se retourner, que c’est à double tranchant ; quand l’institution pénale est saisie, nous, on attend effectivement de savoir ce qu’elle dit. J’ai eu une affaire de ce type-là hier : ça s’est directement, automatiquement, retourné contre l’auteur des allégations mensongères.

Bien sûr, comme vous le disiez, ce n’est pas toujours aussi simple : la mauvaise foi est parfois relative, on a pu aussi se tromper, tout ça peut aussi arriver, mais on en tire automatiquement des effets négatifs ; en tous cas, nous, on fait savoir que cette arme est dangereuse et qu’elle est à double tranchant. Bien sûr, quand cela nous est posé, on est obligé de prendre des précautions, même quand on a des doutes, parce qu’on peut se tromper, cela peut exister ; on est donc un peu piégés par ce genre d’allégations et obligés de se lancer dans une recherche, qui ne nous plaît pas forcément au départ.

Il y a vingt ans, tant que l’enfant n’avait pas six, sept ou huit ans, il était pratiquement exclu qu’il ne soit pas à la garde de sa mère (c’était le terme qu’on utilisait à l’époque), à moins que celle-ci n’ait « démérité » (elle le prenait toujours comme cela en tous cas). Je crois qu’on n’en est plus là aujourd’hui, ou qu’en tous cas cela ne se pose pratiquement plus dans les mêmes termes : de façon à peu près générale, à partir de deux ou trois ans, le père a autant vocation que la mère à héberger l’enfant.

Un concept a changé : on parlait de garde, on parle maintenant d’autorité parentale commune. Moi, je dis que c’est purement sémantique, et que cela n’a strictement rien changé ; ce n’est qu’une façon, éventuellement, de ne pas jeter l’opprobre sur un parent, parce que celui qui n’a pas la garde se sent privé. Je dirais même plutôt que l’autorité parentale en commun ne fait que déplacer la question. Nous, on essaye d’organiser l’hébergement de l’enfant, sans pour autant dire qu’il sera principalement hébergé chez l’un ou l’autre des parents. On organise pratiquement l’hébergement d’un enfant.

Un dernier point, c’est l’apparition, que je trouve encore modeste, de la médiation familiale ; je crois que c’est quand même une nouveauté très positive, et une petite révolution culturelle. Les juges sont là pour décider, et ils sont généralement très contents de décider, parce que sinon on fait un autre métier ; lorsqu’il est sollicité par des parents qui divorcent ou qui ont des problèmes au sujet de leurs enfants, la révolution culturelle du juge c’est de rechercher si les parents eux-mêmes n’ont pas les capacités de traiter la question. Il doit donc se défaire de son rôle de juge et se présenter uniquement comme un subsidiaire à la capacité de décision des parents. Alors ça, à terme, ça va être quelque chose de payant ; c’est un phénomène qui augmente, qui prend de l’importance. Même s’il y a encore beaucoup de progrès à faire là-dessus, on peut quand même postuler que la plupart des parents ont la capacité de prendre des décisions en commun, s’ils ont vraiment le souci de l’intérêt de l’enfant. L’intérêt, entre autres, c’est que la décision prise par le juge va nécessairement être contingente, limitée dans le temps ; et quand, un an ou deux après, l’enfant a grandi ? Tous les enfants grandissent, et il faut reposer les problèmes. Alors quand on est capable de renvoyer les parents à une décision commune, on leur renvoie aussi la prise en charge de la situation des enfants dans le temps, avec la conscience que cette situation est évidemment mouvante, et que l’hébergement se posera peut-être dans des termes différents dans un an. Voilà donc plein de choses qui changent malgré tout.

[Applaudissements]

Michel Thizon. Merci. De toute façon, on voit effectivement Paris évoluer plus vite que la France profonde ; je ne parle pas des DOM-TOM où il faudra un siècle. Mais que vous ayez remplacé Mme Courcelle est déjà un signe très symbolique émanant du ministère, ou des autorités judiciaires.

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