Le problème des origines chez les enfants adoptés ou nés de procréations médicalement assistées

Delaisi (Geneviève), « Le problème des origines chez les enfants adoptés ou nés de procréations médicalement assistées », allocution prononcée à Paris le 11 juin 1994, lors du colloque organisé dans le cadre du troisième congrès SOS PAPA sur le thème « Devenir et rester père, quel combat ? ». Geneviève Delaisi est psychanalyste et écrivain.

Geneviève Delaisi, Guy Desplanques, Christiane Olivier, Jean-Pierre Cuny, colloque du troisième congrès SOS PAPA, Paris, 11 juin 1994 (© SOS PAPA)

Geneviève Delaisi, Guy Desplanques, Christiane Olivier, Jean-Pierre Cuny, colloque du troisième congrès SOS PAPA, Paris, 11 juin 1994 (© SOS PAPA)

Geneviève Delaisi, à partir de la psychanalyse qu’elle pratique dans un grand établissement hospitalier, s’est spécialisée dans les problèmes de bio-éthique et est devenue ainsi consultante internationale en bio-éthique.

Elle a écrit ou dirigé beaucoup d’ouvrages, dont notamment Enfant de personne (Odile Jacob, 1994), en collaboration avec Pierre Verdier. Citons encore : L’art d’accommoder les bébés (Le Seuil, 1980), La part du père (Le Seuil, 1981) ou L’enfant à tout prix (Le Seuil, 1983).

Je vais essayer de vous parler, peut-être pas tellement des enfants sans père, parce que je ne crois pas qu’il y ait vraiment d’enfant sans père, ou il y en a très peu, mais des enfants dont le père est incertain, ou de ceux dont le père a une paternité incertaine, c’est-à-dire contestable ou contestée. Je ne parlerai pas là des affaires de divorce, quoique… Je vais surtout prendre un angle d’attaque qui dépasse le sujet lui-même : c’est celui des procréations artificiellement assistées et des représentations de la paternité à l’époque actuelle.

histoire-des-peres-246x340Il y a quelques années, deux historiens, Jean Delumeau et Daniel Roche, avaient fait un séminaire au Collège de France, auquel j’avais participé, et qui a donné lieu à un très beau livre qui s’appelle Histoire des pères et de la paternité. C’est un livre collectif, avec beaucoup d’iconographie, qui, pour moi, fait apparaître de manière tout à fait saisissante qu’on a franchi plus de distance dans les représentations de la paternité pendant les cinquante dernières années que pendant les deux siècles et demi qui ont précédé.

Il y a vraiment une déstabilisation des repères paternels à l’heure actuelle qui est considérable, et qui fait que nous tous, nous acteurs protagonistes ou nous spécialistes de tous poils, nous oscillons complètement entre le pôle biologique et le pôle social pour répondre à la question : « Qu’est-ce qu’un père ? » C’est étonnant, si vous regardez par exemple des documents aussi passionnants que la jurisprudence, les minutes de jugement de divorce ou la jurisprudence qui concerne les procès autour de l’insémination artificielle par donneur, ou des affaires comme le post-mortem. Il va y avoir d’ailleurs une affaire d’insémination post-mortem qui va être jugée prochainement. Si vous lisez, non seulement ce qui se passe, si vous lisez les textes des attendus, mais si vous lisez aussi ce que racontent les journalistes, vous savez, c’est assez étonnant.

De manière très schématique, depuis le droit romain, les critères de désignation de la paternité ont oscillé suivant les époques mais ils étaient stables. Je vous renvoie aux ouvrages, notamment à celui que j’ai cité. Le critère était soit la volonté, c’était le droit romain ; soit le mariage ou l’union officielle, c’était ce qui se passait au Moyen Âge ; soit la possession d’état, c’est-à-dire le fait d’élever, de s’occuper d’un enfant ; soit la génétique, en particulier depuis la réforme du code civil de 1972.

Maintenant, ces quatre critères, qui correspondaient à une période stable au point de vue de la paternité, sont complètement mélangés à l’époque de notre histoire. Je dirais au gré des fantasmes de chacun, avec une lutte de pouvoirs qui, souvent en effet, est gagnée par les mères ou par les défenseurs des mères. Depuis que le pater familias romain est mort, et je pense que ce n’est pas mal qu’il soit mort, d’une certaine façon au moins pour le législateur, depuis que règne l’autorité parentale, la responsabilité parentale, eh bien ! la question « Qu’est-ce qu’un père ? » est totalement, je dirais, éradiquée. C’est d’ailleurs assez paradoxal que, dans ce même moment, dans cette époque actuelle, surtout depuis 1972, cela bouge de décennie en décennie. Il y a en même temps une prise en charge, une revendication affective de père, dont vous témoignez, qui est très importante. Elle n’est pas simplement présente au travers de travaux de pédopsychiatrie, de psychiatrie du nourrisson, qui font apparaître très clairement l’intérêt de la part du père dans la prime éducation d’un enfant ; il y a des travaux tout à fait passionnants. On sait d’autre part que les pères, de toute façon, sont beaucoup plus investis dans l’éducation des jeunes enfants qu’il y a encore trente ans.

Il y a donc quelque chose de très mouvant, de très paradoxal et qui, quand on y regarde de près, donne un peu une impression de vertige. Il y a une crise de la paternité ; c’est une banalité de le dire mais je voudrais le redire en précisant que la crise, en tout cas pour moi, est à comprendre dans son double sens. À la fois crise au sens classique : on casse tout, suivi de fluctuations, comme la météo en ce moment ; quelquefois, on ne sait pas vraiment répondre à la question « Qui est le père ? », y compris dans les familles concernées. Et puis crise au sens où, après un mouvement de crise, comme c’est le cas d’une crise d’adolescence, on peut passer à une étape suivante qui est beaucoup plus positive.

Autant dire que, personnellement, je ne suis pas si pessimiste que cela sur l’avenir de la paternité, même sur ce qui se passe en ce moment. Ce qui me gêne en ce moment, c’est qu’il y a une absence de lois dans bien des domaines, et que la paternité devient très souvent une affaire de négociation. Et dans ces affaires de négociation, il y a effectivement très souvent une querelle de pouvoir. Je crois que l’important, c’est que les protagonistes de ces affaires sachent un peu de quoi il retourne ; non seulement quels sont leurs droits, mais un peu comment cela se passe dans d’autres domaines. C’est pour cela que je vous parlais il y a cinq minutes de la procréation assistée. Parce que c’est important de faire le point entre les différents aspects de la question fondamentale qu’est pour moi la question : « Qu’est-ce qu’un père ? » Alors, que voit-on dans le domaine de la procréation médicale assistée, qui s’appelle maintenant l’A.M.P., l’assistance médicale à la procréation, et non plus procréation médicale assistée ? Que voit-on dans ces paternités médicalement assistées ? On voit que ce sont des paternités, c’est clair, mais qui sont aussi médiatisées, dans le sens où il y a plusieurs protagonistes qui « font » un père. Dans l’I.A.D., insémination artificielle par donneur, lorsque le mari ou le conjoint de la mère est stérile, puisqu’il a recours à ces méthodes, il y a quelqu’un d’autre, qu’on appelle un donneur de sperme, qui est, dans le système législatif français, anonymisé. Il y a donc une copaternité, dans laquelle il y a le père social, qui est le père parce que c’est une présomption de paternité, soit par le mariage, soit par reconnaissance de l’enfant, et aussi un autre père. Donc c’est un père très emblématique qu’on retrouve dans bien d’autres cas de figure, que ce soit dans la fécondation in vitro avec donneur de sperme ou ans le don d’ovocyte. Il y a une cinquantaine d’enfants en France nés par don d’ovocyte. Le coin est bien enfoncé dans l’édifice législatif de la paternité.

À propos de don d’ovocyte, je pense à un couple que j’ai vu cette semaine : un homme vient avec sa femme qui n’a pas d’ovocyte pour des raisons médicales diverses. Ce couple peut recourir à une autre femme qui donne son ovocyte. La maternité sera donc coupée en deux ; il y aura une maternité génétique donnée par la donneuse d’ovocyte et une maternité utérine, la maternité habituelle, qui est que cette femme, la mère, est celle qui accouche, qui donne son nom. Mais le père dans tout cela est bien le père. Il vit une drôle de paternité. Il ne vit pas une paternité qu’il partage. Il vit avec une seule mère. Un autre couple que j’ai vu cette semaine est un couple africain, celui de la sœur de la femme qui n’avait pas d’ovocyte. Quand je leur ai posé des questions sur l’avenir de l’enfant, ils ont répondu chacun que ce serait leur enfant ; le père, en montrant les deux femmes, sa femme légitime et sa sœur, a dit : « Ce sera leur enfant, l’enfant des deux femmes » ; et la sœur donneuse, en regardant le couple de sa sœur et de son beau-frère, a dit : « Ce sera leur enfant ». C’est comme une espèce de phrase de condensation. En tout cas, pour la question du père, qu’est-ce que cela veut dire pour cet homme qui, lui, est un père habituel, de pouvoir dire à deux femmes : « Ce sera leur enfant » ?

enfant-de-personne-222x340C’est une des nombreuses formes de cette paternité médicalisée et médiatisée. J’en parle dans mon dernier livre, que j’ai écrit avec Pierre Verdier qui, lui, est un spécialiste de l’adoption. Paternité médicalisée, médiatisée, différée aussi, parce que le sperme est congelé ; un homme peut-être père avec du sperme qu’il a congelé dix ans avant. Je pense à de nombreux cas de figure, comme les cas de don d’ovocyte, qui sont des cas d’I.A.C., c’est-à-dire d’insémination avec le sperme du conjoint, d’hommes qui se font vasectomiser, souvent parce que la femme a des difficultés de contraception, qui congèlent du sperme avant la vasectomie, et quelque fois le réutilisent dix ans après, soit avec leur conjointe, soit avec une autre femme.

Il y aussi des hommes qui ont un cancer, par exemple la maladie de Hodgkin, qui, heureusement, a maintenant un assez bon pronostic de guérison, et qui conservent leur sperme avant le traitement et le réutilisent après. Dans ces cas, il y a eu plusieurs jugements très intéressants sur la question du post-mortem. Une affaire que je suis particulièrement, c’est le cas très émouvant d’une femme dont le mari est mort d’un cancer et qui a eu le temps de conserver du sperme avant la chimio. Maintenant cet homme est mort. Elle plaide. Elle veut les paillettes du sperme de son mari. Le CECOS refuse. Cela pose donc aussi la question de savoir à qui appartiennent les paillettes de sperme d’un homme qui voulait faire un enfant avec une femme.

Si on part de l’idée du couple, que madame Olivier a évoqué tout à l’heure, qu’à un moment donné, même si le couple se sépare, ils ont voulu faire un enfant ensemble, on pourrait arguer du fait que ce couple aussi a voulu faire un enfant ensemble, mais qu’il y a eu la mort entre temps. C’est une discussion qui est extrêmement riche. Il y a donc ces nombreux cas d’I.A.C. Il y a le fait, très récent, que la Cour de Paris a admis depuis 1989 que la paternité était maintenant certaine, prouvée biologiquement, alors qu’avant, il y avait toujours le doute repris dans un célèbre adage. Maintenant, on peut prouver la paternité d’un homme ; ce qui fait qu’il y a eu quelques jugements très compliqués dans lesquels, bien que la paternité d’un homme soit prouvée, cela a déstabilisé énormément la question « Qui est le père ? » L’article 318 vous en parlerait.

Tous les hommes et les femmes de bonne volonté se mettent ensemble pour tenter de définir une charte des Droits de l’Enfant dans cette nouvelle famille. Je crois en effet, comme Christiane Olivier, qu’un enfant a le droit de voir son père et sa mère, quelles que soient les circonstances de la vie future. On sait maintenant que les couples se séparent. Il y a la mort ; il y a bien d’autres circonstances ; il y a la stérilité, et je crois qu’il faudrait qu’on essaie de voir quels sont les besoins incompressibles de l’enfant dans sa nouvelle famille. Sur la question de l’intérêt de l’enfant, je crois que les psychanalystes ont là de quoi faire, de tenir compte du réel, et de repartir du réel de ces nouvelles familles, de voir un peu quels sont les besoins incompressibles de l’enfant.

[Applaudissements]

Michel Thizon – On a des cas très criants de pères qui savent où est leur enfant, mais qui ne l’ont jamais vu, parce que la mère était partie enceinte. J’ai le cas d’un ancien délégué, qui a dû aller jusqu’en cassation parce qu’il a vécu avec la mère de son enfant, mais elle est repartie avec son ancien mari stérile. Il est arrivé en cassation pour tenter de faire reconnaître quand même qu’il sera peut-être le père un jour. Comment vous positionnez-vous par rapport à ces situations ? Quelles sont les tendances, dangereuses ou pas ?

Il me semble qu’il y a des points communs. Je crois que ’est la même histoire parce que nous vivons tous dans la même société. Stérilité ou divorce, c’est cela le point de déstabilisation, mais, comme je vous le disais, les repères de la paternité sont complètement en mouvance depuis vingt ans pour des raisons diverses, qui auront certainement un sens pour les sociologues de l’an 2050, ou peut-être déjà maintenant. Il en résulte que cette paternité n’est pas encore éclatée, et qu’entre pater et géniteur, entre cette grande distinction que l’histoire a toujours connue, maintenant, suivant l’idéologie du moment, selon les intérêts des uns et des autres, on passe tantôt du côté du pater, tantôt du côté père, tantôt du côté géniteur. Le cas dont vous parlez semble tout à fait relever de cela, parce qu’il me semble que cet homme était très clairement géniteur ; il a peut-être été le père l’espace de quelques semaines ou mois. Et puis il y a aussi un autre père, qui a probablement des droits lui aussi, et dans ce conflit chacun y va de ses rapports de force : essayer d’attribuer de force la paternité au pater ou au géniteur, c’est la même histoire.

Michel Thizon – Plutôt que de ne pas avoir de père du tout, d’accord si un enfant a un père affectif. Mais où il y a un vrai danger, c’est que la mère semble avoir le pouvoir de lui attribuer un « père affectif » en rejetant le père d’origine, qui est le premier père affectif, qui aime l’enfant et que l’enfant aime. Il faudrait leur donner des numéros, alors ? Et là, il y a un danger. J’entends des gens de bonne foi dire maintenant : « C’est le père affectif qui compte », sans souligner que c’est seulement le numéro 2, ou 3, ou 4…

Je trouve que les femmes ont le droit de donner un numéro d’ordre aux hommes avec qui elles vivent, et que le père n’a rien à dire à tout ça. J’aimerais, pour la simple logique du futur individu, qu’il puisse dire : « Celui-là, c’est mon père numéro 1, ce n’est pas celui que je préfère, mais c’est celui qui m’a voulu et qui m’a fait venir. Le copain de maman est extrêmement gentil [ce qui est vrai la plupart du temps, le deuxième compagnon de la mère essaye toujours de faire quelque chose pour l’enfant de la femme qu’il aime], mais il n’est pas mon père. » J’aimerais bien que les enfants arrivent à cette distinction très claire, quitte à aimer ou ne pas aimer le premier père. Tout le monde n’aime pas son père, tout le monde n’aime pas sa mère, c’est l’histoire secrète affective de chacun de nous, mais que l’enfant, dans la logique, soit clair avec ces choses-là.

Un participant – Qu’est-ce qu’on fait quand il y a conflit ?

Moi, il me semble qu’il y a un point qui, sur le plan psychologique, est rarement évoqué. C’est la question des loyautés. Je crois que, lorsqu’il y a conflit entre les parents, les enfants sont bien souvent des otages, et ils ont un besoin très profond, très inscrit dans la Ψυχή humaine autour de la filiation, c’est qu’ils ont des loyautés vis-à-vis des deux parents, leur père ou leur mère.

En cas de conflit, ils sont pris dans ce que j’appelle leur loyauté, c’est-à-dire qu’ils ont l’impression que pour être loyal avec leur père, et ils sont obligés d’être loyal avec leur père, ils sont obligés d’être déloyaux avec la mère, et vice-versa. Il y a des sessions qui sont suivies par les magistrats, des sessions qui les sensibilisent à cette question, au fait que l’enfant doit pouvoir exprimer sa loyauté à l’égard de ses deux parents, même quand les parents sont séparés, même quand il ne voit son père que tous les quinze jours, ou moins que ça.

J’ai un slogan à vous proposer pour le prochain SOS PAPA : au lieu des « deux parents », pourquoi ne pas dire « J’ai droit à mes deux pères » ? Je suis sûre qu’il y a une chose de l’ordre de la dualité des paternités car c’est un fait, souvent, et les enfants aussi se sentent loyaux vis-à-vis de leurs deux pères quand ils ont un père et un beau-père.

D’ailleurs très souvent, quand on a des enfants qui parlent du vrai père, on ne sait jamais dans le langage de l’enfant s’il s’agit du père géniteur ou du père social.

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