Allocution de François Mitterrand à l’occasion de la journée internationale des femmes

François Mitterand (© Philippe Roos)

Allocution de François Mitterrand, Président de la République, à l’occasion de la journée internationale des femmes, prononcée à Paris le jeudi 8 mars 1990


Mesdames,

Je suis heureux de vous accueillir ce soir à l’Élysée qui est la maison de la République française.

Vous avez été conviées à Paris par d’autres que par moi, le mérite leur en revient. Je pense en particulier au rôle rempli par Antoinette Fouque et par l’Alliance des femmes pour la démocratisation.

Toute une série de cérémonies ont marqué ce 8 mars. Plus tard, vous vous retrouverez pour une série que j’espère belle. Ainsi avez-vous souhaité et je m’y suis associé à partir de là, célébrer le 8 mars. Ont été distinguées un certain nombre de femmes qui ont lutté et se sont illustrées dans ce combat, combat déjà ancien. Le 8 mars, celui que nous avons institué – fête, célébration, souvenir, journée de la femme – ce 8 mars 1982 n’était pas le premier. Quand on remonte le temps jusqu’en 1857, on se rend compte à quel point des femmes courageuses au départ isolées, comme toujours, ont dû supporter le refus, le rejet pour quelques idées simples dont l’une et la première était que toute femme avait le droit de vivre avec des chances égales à celle de l’homme. Mais aussi, autant que possible, égales entre elles. Ce problème se posait sur tous les plans, celui de leur vie personnelle, de leur vie familiale, de leurs droits civiques, de la maîtrise de leur propre destin mais aussi sur le plan professionnel. Mais encore… la liste est trop longue.

Partout, partout les femmes dans les sociétés qui s’était fondées à travers les âges, partout les femmes étaient considérées comme des auxiliaires quand elles n’étaient pas simplement des instruments, des outils de production ou bien confinées dans des travaux particuliers attribués à leur sexe même si en vérité elles pouvaient aspirer, elles ont aspiré et elles y réussissent, à remplir le rôle que tout être humain peut remplir.

C’est donc avec gravité que nous nous retrouvons un 8 mars. J’ai remercié celles d’entre vous qui ont été à l’origine de cette initiative. Elles sont les héritières de beaucoup d’autres femmes dont certaines sont aujourd’hui illustres dans la mémoire de l’histoire parce que leur pensée, sa projection dans le temps et aussi la qualité de leur combat, l’exigence de leur vie consacrée à ce combat ont fait que peu à peu et malgré tout avec beaucoup de défaillances, sans que l’on puisse encore prétendre que ce mouvement soit franchement universel, peu à peu donc des droits ont été conquis. Mais ils ont été le plus souvent conquis par la loi alors qu’il faut conquérir par les mœurs, par les usages, par les façons de vivre et c’est à cet égard le rôle que vous pouvez aujourd’hui le mieux remplir.

En France, puisque nous y sommes, j’ai beaucoup admiré la tâche remplie par un certain nombre d’entre vous. Ces femmes sont ici ou elles n’y sont pas, elles ont été conviées en tout cas, elles ont assumé des responsabilités parfois gouvernementales ou elles ont dirigé et animé des associations, des groupements de lutte pour faire valoir le droit, le droit tout simple dont j’ai parlé. Cela ne suffit pas naturellement.

On déplore encore dans un pays comme le nôtre – que l’on peut considérer comme un pays évolué – des inégalités criantes, évidentes, contre lesquelles ceux qui gouvernent sont tout à fait disposés à lutter. S’ils n’y parviennent pas autant qu’il le faudrait, c’est aussi parce qu’il existe une résistance de notre société qui se retrouve partout dans les métiers, dans les entreprises, qui se retrouve souvent dans les couples, dans les habitudes de pensée, dans la représentation politique et civique, jusque dans l’attribution du salaire dont l’importance n’est point mesurée selon le service rendu mais en vertu du fait que c’est une femme et pas un homme. Défaillances difficiles à combler et quelles défaillances.

En vérité, sans revenir à Aragon, à l’avenir que vous seriez pour nous, hommes, (et ma foi ce n’est pas si mal trouvé), ce qui est vrai, c’est que nos sociétés, nos civilisations ont puisé trop souvent leur inspiration, leur ressort, peut-être aussi leur courage et leur constance dans l’action, dans le témoignage de quelques femmes parmi d’autres, entraînant les autres.

Alors il reste encore, croyez-moi, beaucoup de 8 mars à célébrer devant vous, vous n’êtes pas au bout de vos peines.

Certaines d’entres vous sont venues de loin pour rencontrer les autres. Je tiens à adresser un témoignage particulier aux onze qui ont été remarquées non pas aujourd’hui, mais aujourd’hui parce toute une vie derrière a justifié cette consécration. Ce sont des signes, il en faut bien, ce n’est pas cela qui est important. Mais on se retrouve plus aisément autour d’événements un peu médiatiques et davantage symboliques. Il ne faut pas mésestimer la force des symboles.

Voilà pourquoi j’ai été très sensible à votre disponibilité toute cette journée. J’exprime le souhait que l’on recommence les années suivantes, de cette façon ou d’une autre. Ce n’est pas moi qui en prendrai l’initiative. Il importe que ce soit des femmes parmi les autres femmes qui imaginent, conçoivent, composent la journée des femmes.

Au sein du gouvernement français, plusieurs femmes travaillent assidûment, l’une d’entre elles a pour tâche plus particulière – il s’agit de Mme André – de suivre et d’imaginer autant qu’il est possible, et elle le fait. Je le répète, elle n’est pas la première, et je tiens à adresser mes remerciements à celles qui l’ont précédée dans cette tâche. Quelles qu’aient été les majorités politiques, il y a toujours eu des femmes disponibles pour porter haut une cause plus juste que tant d’autres.

Alors, maintenant, ce soir, vous êtes à l’Élysée, c’est un peu cérémonieux, naturellement, comment voulez-vous faire autrement et puis d’ailleurs pourquoi pas ? Nous allons nous réunir comme cela, selon vos affinités, encore pendant quelques quarts d’heure. Je ne veux pas remplir ces quarts d’heure avec du discours. Je suppose que vous avez été bien servies aujourd’hui.

Alors reposons-nous ensemble, réjouissons-nous, sentez-vous tout à fait chez vous dans ce Palais de la République. J’ai moi-même depuis déjà longtemps mis au net ma propre pensée sur ce problème si difficile à résoudre et cependant si nécessaire à résoudre aussi : celui de la place des femmes dans nos sociétés modernes. Je m’efforce de contribuer autant que je le peux au service de la cause qui est vôtre. Il m’arrive assez souvent de rencontrer, de recevoir certaines d’entre vous. J’essaie aussi de les écouter et de les comprendre, de modifier notre législation et par une action continue je m’efforce de faire pénétrer quelques idées simples, toujours simples, au sein de la population française.

Le même combat est indispensable dans l’Europe tout entière. Et lorsque vous relevez quelques thèmes aussi dramatiques que ceux de la violence et particulièrement de la violence à l’encontre des femmes, ces injustices profondes sont intolérables pour quiconque a voulu croire à la déclaration des droits de l’Homme, de la Femme, du Citoyen ou de la Citoyenne, c’est révoltant. Vous avez bien fait d’attirer l’attention sur ces points-là. Mais vous savez bien que ce ne sont que certains aspects reflets ou échos d’une situation plus profonde et plus constante. Je l’ai dit, ce sont nos mœurs, nos habitudes de pensée et de vie qui sont en cause. Ce qui veut dire qu’il s’agit-là d’un combat qui durera à travers le temps et qui exigera beaucoup de vous, beaucoup plus que vous ne croyez. À moins que vous ne pensiez être parvenues aux résultats souhaités, ce qui m’étonnerait, à l’exception, sans doute, de quelques-unes que le sort a comblées, si je puis dire, qui se trouvent en avant-garde, parfois en alibis. Dans tous les pays du monde, les immenses bataillons de l’armée des femmes crient leur attente, leur espoir et leur malheur.

Vous êtes aujourd’hui les témoins privilégiés, soyez les bienvenues. C’est dans cet esprit que je vous accueille, que j’ai voulu vous recevoir en compagnie de ma femme et de Mme André. Je ne voudrais quand même pas me substituer, comme j’ai voulu le dire au point de départ, à celles qui ont fait tout le travail. Moi, j’arrive dans la situation typique de l’homme : vous avez fait ce qu’il fallait et je conclus. Tant pis pour moi, c’était une situation finalement assez agréable. Je reconnais que c’est difficile pour nous d’y renoncer. Enfin, vous y arriverez. Qui sait si un jour il n’y aura pas à ma place une femme ? Pourquoi pas, ce serait très bien. Si je peux vous donner un coup de main, je le ferai, enfin je ne voudrais pas désespérer les hommes qui attendent.

Mesdames, bonne soirée. Vous allez rompre les rangs qui vous laissent comme cela, debout et immobiles, ce qui n’est pas très agréable. Ont été préparés, ici derrière, quelques en-cas qui vous permettront de vous distraire un peu. Je souhaite que vous entendiez au Zénith quelques artistes de talent, des jeunes artistes de grand talent. On s’émerveille précisément de tant de richesses oubliées, négligées, ignorées. Vous êtes en train de les découvrir, de les montrer. Et nous sommes tellement riches, nous, de l’espèce humaine, de valeurs, de possibilités, de chances, de virtualités. Reste, bien entendu, à faire que les clans, les hiérarchies, les empêchements qui tous viennent d’une société par essence inéquitable, injuste, soient balayés. À vous de jouer et bonne chance.


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